Le Moment, Fevrier 1936 (Année 4, no. 286-310)

1936-02-01 / no. 286

LE DISCOURS DE M. DORAI Le discours de M. Borah n’est pas purement théori­que, mais se réfère à l'attitude générale que les E- tats-Unis devraient adopter en politique étrangère. Ce discours tient compte de certains événements qui se sont déjà produits ou qui sont en voie de se pro­duire. Et la lutte électorale pour la présidence des E- tats-Unis se livrera autour de l'attitude à prendre par les Etats-Unis au sujet de ces événements. mm BUCAREST, 4m* ANNEE - N* 286 DIRECTION, REDACTION administration, publicité 15, Rue Brezoianu Téléphonai - Direction 4.25.34 Redaction, Admini*tration i 3.10.40 imprimerie 2, rue Aristide Demetriado - Tel,. 4.5Í.6I Adr. télégr. Moment Bucarest Directeur • ALFRED HEFTER Tai« postale payée directement, ©enfermement è Papprer botion No* 247.392J1935 des P. 8 PAGES 3 LEI Le Moment Journal de Bucarest Quotidien Illustré d’informations Politiques, Economiques et Sociales Une révolution La production de la laine artificielle en Italie > Ses répercussions sur l’industrie laitière M. Girard a déposé à l’Académie d’Agriculture une note de M. Geor­ges Ray, chef de service à l’Insti­tut international d’agriculture de Rome, qui provoquera une certaine émotion dans les milieux industriels et agricoles de notre pays. M. Ray nous apprend en effet que l’ingé­nieur italien Ferretti est parvenu à fabriquer un textile nouveau ap­pelé laine synthétique en utilisant la caséine du lait écrémé, matière plastique de premier ordre. Déjà, on était parvenu à fabriquer ainsi des produits de galalite. Aujour­d’hui, après avoir produit la coagu­lation par addition d’une quantité convenable d’acide sulfurique, on sépare la caséine du sérum, on la lève et on la presse. Le sérum après saturation de son acidité sert à l’alimentation des porcs. La caséine subit elle une préparation dont les phases présentent beaucoup d’ana­logie avec celle de la soie artifi­cielle. D s’agit de la solubiliser par des alcalis, puis de procéder à la maturation de la pâte. Ensuite le produit est passé en filière et dans des bains lui donnant de la solidité. Enfin se poursuit le séchage. Les expériences faites à Milan ont mon­tré qu’un hectolitre de lait écrémé donne 3 kilogrammes de fil, le tis­sage des fils donnant un tissus en tous points comparable aux étoffes de laine. Comme l’Italie importait environ 360.000 quintaux de laine lavée par an, il faudrait mettre en oeuvre en­viron 10 millions d’hectolitres de lait écrémé pour supprimer cette importation. Or les disponibilités en lait écrémé ne s’élèvent actuel­lement qu’à trois ou quatre millions d’hectolitres. Il faudrait 45(1.000 vaches de plus pour faire face à cette transformation, et trouver la place des 300.000 quintaux de beur­re qu’elles permettraient ainsi de fabriquer. Nous savons maintenant, en gros tout au moins, comment se présente la question de la fabrication de la laine artificielle. „Pour l’Italie, a déclaré M. Gi­rard du haut de la tribune autorisée de l’Académie d’Agriculture, au «Au moment même où sont appliquées les sanctions dont les conséquences peu­vent être redoutables aussi bien pour les pays sanction­­nistes que pour l’Italie, la fabrication de la laine arti­ficielle peut contribuer à ré­duire énormément l’achat des laines naturelles de pro­venance étrangère. Pour les pays autres que l’Italie, et notamment pour ceux qui sont à la recherche de dé­bouchés nouveaux pour une partie de leur production laitière, il est bien évident que le procédé de fabrica­tion de la laine de caséine présente un intérêt écono­mique de premier ordre.» moment même où sont appliquées les sanctions dont les conséquences peuvent être redoutables aussi bien pour les pays sanctionnistes que pour l’Italie, la fabrication de la laine artificielle peut contribuer à réduire énormément l’achat des lai­nes naturelles de provenance étran­gère. Pour les pays autres que l’Ita­lie, et notamment pour ceux qui sont à la recherche de débouchés nouveaux pour une partie de leur production laitière, il est bien évi­dent que le procédé de fabrication de la laine de caséine présente un intérêt économique de premier or­dre. Enfin les pays producteurs et exportateurs de grandes quantités de laine peuvent se demander non , sans inquiétude, si leurs exporta­tions ne sont pas destinées à dé­croître dangereusement dans un a­­venir assez prochain”. On voit combien peuvent être sé­rieuses les répercussions d’une nou­velle industrie du lait sur l’ensemble de l’économie d’un pays. Le pro­blème est maintenant posé de la façon la plus nette pour l’Italie, pays où la fabrication de la laine de caséine sera prochainement un fait accompli. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que cette fabrication ne se cantonnera pas très longtemps à l’Italie et qu’elle sera tentée également dans les autres pays laitiers, quelle que soit d’ailleurs la réaction de l’in­dustrie de la laine naturelle. Voilà pourquoi il est extrêmement impor­tant que les agriculteurs français soient mis sans retard au courant d’une découverte appelée à trans­former profondément l’économie des pays grands producteurs de lait. Comme il serait vain de songer à arrêter ou seulement à retarder le perfectionnement de la technique industrielle, il convient dès à pré­sent d’étudier le perfectionnement de la technique industrielle dans son ensemble fort complexe. En Allemagne depuis longtemps on a transformé des poils d’ani­maux en laine artificielle par un procédé physico chimique qui mo­difie la forme du poil. Le découverte de M. Antonio Ferretti, beaucoup plus impor­tante et qui est un corrollaire des sanctions économiques, risque d’a­voir de très graves répercussions sur l’économie de beaucoup de na­. tions. Jean Devtry Le sénateur Borah a ouvert la campagne é­­lectorale pour les élec­tions présidentielles aux Etats-Unis. Dans un discours prononcé devant une nombreuse assistance, l’orateur a soulevé le problème le plus brû­lant qui agite aujourd’hui la répu­blique nord-américaine. Le séna­teur Borah a proposé, pour les E- tats-Unis, une politique extérieure telle, qu’elle puisse se tenir le plus possible à l’écart des conflits qui pourraient naître entre les autres Etats. C’est la vieille doctrine de Mon­­roë que les Américains, non seule­ment ont repris après la guerre, mais à laquelle ils ont l’intention de donner force de loi en procla­mant la neutralité permanente des Etats-Unis. Le discours de M. Borah n’est purement théorique, mais se réfè­re à l’attitude générale que les E- tats-Unis devraient adopter en po­litique étrangère. Ce discours tient compte de certains événe­ments qui se sont déjà produits et d'autres qui sont en voie de se produire. Et la lutte électorale pour la présidence des Etats Unis se livrera autour de l’attitude que devra adopter la République amé­ricaine au sujet de ces événe­ments. Ces événements se sont pro­duits en Extrême-Orient et ont eu leur répercussion à la conférence navale de Londres. Cette conférence a échoué par suite des prétentions exagérées des Japonais. L’Angleterre espère que les choses pourront encore s’arranger et a l’intention de con­voquer une nouvelle conférence. Mais nous sommes certains qu'à cette nouvelle conférence, le Ja­pon sera encore plus exigeant et que ses prétentions augmenteront proportionnellement à ses succès militaires en Chine. Cette fois donc, le temps travaille contre l’Angleterre. Ce n'est plus, aujourd'hui, un secret pour personne que les ques­tions navales sont en étroite liai­son avec le problème d’Extrême- Orient. L'attitude du Japon à la confé­rence navale, jointe à son action en Chine ont rapproché, pour ainsi dire automatiquementl l’An­gleterre des Etats-Unis. Ces . deux pays ont tellement d’intérêts com­muns dans le Pacifique que l’at­titude du Japon qui a entraîné l’é­chec de la conférence de Londres les a placés côte à côte, dans la posture de deux alliés naturels. En Angleterre, cette alliance est désirée tant par le gouvernement que par le peuple tout entier. Aux Etats-Unis toutefois, les avis sont partagés. Seule une infime partie de la population américaine se rend compte du danger nippon et désire une alliance avec la Grande- Bretagne. La grande majorité de la population est toutefois oppo­sée à cette idée. L’opinion courante en Amérique est que l’orientation du Japon vers l’intérieur de l’Asie constitue une véritable chance pour les Etats- Unis. Le Japon sera occupé sur le continent pendant au moins un siècle. Pendant cet intervalle, les Etats-Unis, aujourd’hui riches et puissants, profiteront des bienfaits d’une paix prolongée pour s’enri­chir et se renforcer plus encore; en tout cas, jusqu’alors sa popula­tion aura doublé et lorsque le Ja­pon, ayant maîtrisé la Chine, aura les mains libres, il se trouvera de­vant une Amérique parfaitement équipée; ou peut être jusqu’alors le monde sera-t-il établi sur d’au­tres bases et la guerre définitive­ment exclue. Et pour ne donner au Japon au­cune occasion de conflit, il s’est trouvé aux Etats-Unis des hom­mes qui ont proposé l’abandon des Philippines, sous le prétexte que l’Amérique ne doit assumer aucu­ne responsabilité dans les eaux chinoises. Le sénateur Borah s’est fait l’é­cho de ces tendances de la majori­té des Américains. C’est sur ce thème qui sera livrée la lutte pour la présidence de la République. Du reste, Roosevelt lui même est du même avis. Le fait qu’il a propo­sé le projet de loi pour la neutralité perpétuelle des Etats-Unis à la veille même des élections, consti­tue la meilleure preuve qu’il sui­vra l’opinion de la majorité du peuple. Cette attitude des Etats-Unis est du reste parfaitement naturel­le dans les circonstances actuelles. Il va de soi que l’agrandisse­ment du Japon ne peut être ni du La Boîte aux Lettres L’Egypte réclame son indépen­dance totale. • • * Les évènements du Caire ont une grande importance pour la politique européenne. Après Ad­­dis-Abéba, c’est le Caire qui absor­be toute l’attention de l’Empire Britannique. Le Wald est le Parti qui domine la nation et qui impose son programme comme revendica­tion unique de la part des quinze millions de descendants des pha­raons. Le gouvernement de Londres ne peut plus étoufler ni la volonté, ni le mouvement du Wald. L’avène­ment de celui-ci au pouvoir devient inévitable. Les prochaines éléctions mettront le parti de Nahas Pacha à la tête de Vadministration publi­que. Pour le moment, l’action des nationalistes s’exerce dans la rue. Là bas, elle rencontre la force ar­mée à l’ordre de la métropole. Une lois au Gouvernement, c’est le Wald qui détiendra le pouvoir, la police, et la rue. .Evidemment, cette conjecture politique intéresse beaucoup les I- taliens. Ils en profitent, et de leur côté, ils alimentent le mouvement toujours plus menaçant qui s’élè­ve, comme un grave danger sur la route des Indes. L’Egypte, qui a une superficie d’environ un million de kilomètres carrés, ne veut plus se contenter d’une armée de dix mille hommes. Elle réclame aussi sa flot­te, et son aviation. Pour assurer sa défense, elle veut bien collaborer avec l’Angleterre, mais, en sa qua­lité d’Etat indépendant, et non de Dominion. On vient de lire dans les jour­naux de ce matin la protestation des Italiens contre les décisions prises au Caire concernant l’appli­cation des sanctions. L’Italie se demande, à juste titre, en quelle qualité l’Egypte appli­que les sanctions. Elle n’est pas membre de la S. D. N. Elle n’ap­partient pas non plus aux domi­nions. Quand elle voulait faire par­tie de la S. D. N., l’Angleterre a op­posé son veto. Après avoir recon­nu l’indépendance et la souveraine­té de l’Egypte, la Grande-Bretagne ne pouvait pas risquer qu’on apor­­tât les litiges entre Le Caire et Londres devant le Conseil de la S. D. N. L’Egypte, sans défense, voulait bien obtenir une garantie d’ordre international pour son intégrité territoriale. Mais le Foreign Office n’a rien voulu savoir. Le 4 décem­bre 1924, l’Angleterre a envoyé une note au secrétariat de la S. D. N., par laquelle elle déclarait „qu’elle tiendrait pour un acte inamical toute tentative d’intervention d’une autre puissance dans les affaires de l’Egypte". Aujourd’hui, l’Egypte, ne faisant pas partie de la S. D. N., applique tout de même les sanctions. L’Italie demande des éclaircisse­ments. Et, en même temps, le Wafd, en lutte ouverte avec l’Em­pire, réclame le pouvoir, et la liber­té de décider du sort du pays. Il se peut que le Waid obtienne satisfaction à Londres, à une seule condition: se rallier à la politique internationale de l’Empire, sans ré­serve ni hésitation. En acceptant le point de vue britannique, l'E­gypte se trouvera en conflit direct, et face à face avec l’Italie. En re­fusant, l’Egypte devra souffrir la réaction énergique de la Grande Bretagne, capable d’étouffer le mouvement d’indépendance dans le sang. La situation autour du canal de Suez et de la mer Rouge devient de plus en plus trouble, au point de vue anglais. La route des Indes, qui as­sure la force et le prestige de l’Em­pire, doit être contrôlée par les ar­mées britanniques. Pour assurer la liberté de cette route, l’Angleterre fera tonner le canon comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises. Les sanctions même, dont l’ex­tension est préparée méthodique­ment à Londres, ne sont qu’une preuve de plus que l’honneur et l’autorité de la couronne et du peu­ple britannique n’accepte pas de transactions. L’Angleterre gagnera-t-elle cette fois-ci au jeu, ainsi qu’elle y a réus­si durant un siècle? Alfred Hefter (Suite en page 6) Le 30 janvier 1936 M. A. Lebrun, président de la République qui a représenté la France aux obsèques du Roi Geor­ge V est rentré à Paris par la Gare du Nord, Il a été salué pár M, Sarraut et Sir Clerck, / SAMEDI I FEVRIER 1936 ABONNEMENTS VEUILLEZ RÉCLAMER QUAND VOUS NE RECEVEZ PAS VOTRE JOURNAL A TEMPS Lee écrivains roumaine CAMILLE PETRESCO Dans les revues d’avant-guerre, le nom de M. Camille Petresco se dessinait — alors déjà — avec une précision pleine de promesses. La guerre avec tout son enchaînement d’événements a baigné son tempé­rament dans un horizon de visions et de flammes. Et le „Cycle de la mort” le volume qu’il a arraché comme un trophée aux tranchées et à la souffrance, a apporté dans notre littérature une perspective inattendue, une création de pro­fonde signification. Dans les. poè­mes du „Cycle de la mort” M. Ca­mille Petresco ne se révèle pas seu­lement un poète très pur, mais aussi un visionnaire et un émou­vant connaisseur des hommes et de la vie. Dans des vers où bien sou­vent on entend le halètement dou­loureux des colonnes suivant leur calvaire de soif et de souffrances, portant la croix de la guerre, dan? des vers où l’image se concrétise dure et fouillée, dans des vers har­dis, parfois lumineux parfois perdus dans les ténèbres, M. Camille Pe­tresco chante les longues attentes sur les collines de feu et de silen­ce, l’abandon dans une cendre d’hal­lucination, dans un souvenir suave du foyer, la chute d’un chiffre d’hommes comme des glanures dans la tempête, la goutte d’azur et de joie de la pipe atteinte par des lè­vres pleines d’amertume et de boue. * * * M. Camille Petresco n’est pas seulement un chantre confortable­ment installé dans son fauteuil et qui, dans les volutes de la fumée de son cigare se livre à des consi­dérations enthousiastes et littérai­res sur la guerre. (Il est vrai que, pour la valeur en soi d’une création on pourrait négliger le détail de la vie de l’auteur. Mais si nous voulons que, dans le vers, palpite la vie même, il faut s’y être plongé pour qu’on ne sente pas l’artificiel). M. Camille Petresco a fait la guerre. Il l’a vécue intensément, avec une intensité incomparable. Il l’a vécus deux fois: une fois dans les tran­chées, dans les champs ensanglan­tés, la seconde fois sur le champ tout blanc du papier. C’est pourquoi les poèmes du „Cycle de la mort” sont un faisceau de douleurs et de vie profonde; c’est pourquoi ce vo­lume n’a pas renouvelé seulement la sensibilité, mais aussi la forme du vers roumain. Mais la sensibilité et le talent de M. Camille Petresco ne se sont pas exercés seulement sur les touches graves, parfois funèbres, mais tou­jours humaines du „Cycle de la mort”. Dans ses „Chants pour Kicikem” M. Camille Petresco a créé quel­ques uns des joyaux les plus subtils de l’amour. Dans ces poèmes, M. Camille Petresco a chanté toute la gamme du jeu de l’amour, depuis le sourire jusqu’aux larmes. Ce sont des poèmes qui par leur sa­veur atteignent parfois la mélan­colie d’amour des poètes orientaux. Et des vers souples comme le corps même de l’amante chantée, naît un vrai frémissement d’amour et de vie. Car, sous ses doigts, M. Camille Petresco accorde réellement toutes les cordes de la poésie. * * * Au théâtre, l’activité de M. Ca­mille Petresco s’est déployée, plus ample encore. „Les âmes de pierre” ont constitué une vraie, une grande révélation. Les personnages que M. Camille Petresco porte à la scè­ne sont taillés d’une seule pièce et leurs gestes, ayant un reflexe et un écho de vie réelle, n’ont rien de l’artificiel auquel la scène nous avait habitués. Le conflit se produit V. A. Mirandola (Suite en page S), M. CAMILLE PETRESCO

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