Le Moment, Avril 1936 (Année 4, no. 337-359)
1936-04-01 / no. 337
BUCAREST. 4"” ANNEE - Nf# 337 • <* * *>a^9 potfek payée directement/eenformëmenf â Papra* I I ni il I w batten No. 247/1933 des P. T* T 8 PAGES 3 DIRECTION. REDACTION ADMINISTRATION, publicité •5, Rue Brezoïanu TéléphoneI Direction 4.25.34 Redaction, Administration i 3,10.40 IMPRIMERIE-2, rue Aristide Demetriade — Tel., 456.61 Adr. télégr. Moment Bucarest Directeur : ALFRED HEFTER Le Moment Journal de Bucarest Quotidien Illustré d'informations Politiques, Economiques et Sociales £ ® H y a quelques an-TTf nées, Léon Degrelle était un inconnu sans fortune. Il s’éxile, part ~ * pour le Mexique à bord ü un cargo allemand, y mène la dure vie des" marins, débarque sur la terre méxicaine ou régnait alors Calles, le dictateur qui traquait les catholiques; avec ces derniers, Léon Degrelle fait le coup de feu. Il y gagne une force physique peu commune, le mépris de la mort et une sorte de fanatisme catholique poussé à son paroxysme. Lorsqu’il en a assez de combattre les armes à la main les troupes de Calles, il voyage à travers le monde „pour se rendre compte de ce que sont les hommes” dit-il. Enfin, un beau jour, il débarque en Belgique. Le parti catholique auquel il adhère, et qui est un des trois grands partis belges est alors fort divisé. „Rex" Degrelle entre dans une maison d’édition catholique qui porte le nom du Christ-Roi: Rex. Son habileté, son entregent sont bientôt remarqués; sous sa conduite la maison prospère. Il fonde un hebdomadaire: Rex. Le voilà une personnalité du parti catholique. Mais Léon Degrelle ne saurait se contenter d’être journaliste du parti. Il lui faut autre chose. Des jeunes se groupent autour de ce chef tout jeune, il n’a que 25 ans à l’époque. Ainsi naît le premier noyau de ce qui sera le „Rexisme”, car le journal va louer chaque fois le „Chef”. Pour réussir, Degrelle a employé une méthode hardie. Il se met à dénoncer avec une violence inouïe les scandales qui se produisent au sein de son parti. Les jeunes se sont enthousiasmés pour ce nouveau Messie, qui chasse les marchands du temple. Le mouvement rexiste gagne du terrain a une allure foudroyante. Lancé à l’américaine, utilisant les procédés de propagande du nazisme, il donne, dans tout le pays des milliers de meetings payants. Je vois Degrelle Léon Degrelle n’est pas facile à rencontrer. Il est toujours en tournée de conférences. Enfin, un matin, j’ai plus de chance. La „maison brune” des rexlstes 6’élève, rue Royale, au-dessus du jardin botanique, à deux pais de la gare du Nord. Au second, la porte d’un bureau s’ouvre. C’est un grand bureau nu qui porte pour ornement un crucifix et une bibliothèque. J’ai trouvé la même simplicité voulue chez Gil Robles, le chef de l’Accio Popular espagnole. Les deux mouvements ne sont pas d’ailleurs sans quelque ressemblance. Il s’agit d’une tentative de fascisme à tendance catholique. Léon Degrelle, d’ailleurs, ne me le cache point. — La puissance mystique que des hommes comme Hitler et Mussolini sont allés chercher l’un dans la race, l’autre dans le nationalisme, je veux aller la puiser, moi, dans le catholicisme qui est très puissant en Belgique. Sur cette mystique qui me donnera l’appui sans réserve, des couches populaires catholiques, je veux bâtir un Etat fort et social. — Mais, il n’y a pas que des catholiques en Belgique, que ferezvous donc des minorités confessionnelles? — Nous ne les brimerons en aucune façon, mais nous ne voulons plus nous laisser brimer par elles. La Belgique est un pays de majorité catholique, c’est aux catholiques de faire la loi. Jusqu’ici nous n’avons pu y arriver parce que ceux qui tenaient le drapeau — les „vieilles barbes” du parti — sont pourris jusqu’à la moelle et les scandales ne se comptent plus. A ce moment se place un incident comme il n’est pas souvent donné dans la vie d’un reporter d’en voir. Le téléphone retentit. Léon Degrelle décroche l’appareil et écoute attentivement, puis brusquement de sa voix chaude et nette, il coupe son interlocuteur: — Dites-lui que si, d’ici, il n’a pas donné sa démission de député, je publie tous les documents que j’ai. Puis il raccroche. Je regarde le chef des rexistes avec étonnement. — Oui, dit-il, voilà qui doit vous étonner; eh bien! non, c’est ainsi que je procède, l’individu en question est un député qui a trafiqué dans des histoires d’argent: j’en ai la preuve. Je lui laisse sa chance, qu’il démissionne et je ne dis rien. Le soir même je lisais dans les journaux la démission „pour des raisons de santé“ d’un député catholique connu... Degrelle force avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaines, et c’est l’attitude qui plait au petit peuple. Un candidat dictateur •— Oui, me dit Degrelle, je serai le chef, parce qu’il faut un chef pour conduire la masse à son destin. L’organe de mon parti a reçu l’ordre de développer partout la mystique du chef. Et Degrelle me montre d’immenses affiches, où son visage énergiquement dessiné par des jeux d’ombres s’orne de cette légende : „Léon Degrelle, le chef de „Rex”. Bruxelles, mars 1936. Jacques Ploncard (Suite en page 6) Trois candidats dkta1 FC pi Fá'TIAI^IVT leurs se disputent la LLo LLLt I lUIlo Belgique ALLEMANDES Les élections allemandes ont donné à M. Hitler une majorité de 98,8% du nombre des votants représentant la presqu’unanimité des inscrits. Que ces élections constituent une simple comédie et que le résultat ne soit celui qui a été annoncé, voilà qui est clair pour tout le monde. Les libertés chiques ont été supprimées en Allemagne et des candidatures autres que celles officielles ont été interdites. C’est ainsi, du reste, que s’explique le grand nombre des participants aux élections et le grand nombre de voix obtenu par M. Hitler. Toute abstention du vote aurait équivalu à une manifestation contre le régime. L’électeur qui ne se serait pas présenté au vote, se serait dénoncé ainsi même comme adversaire du régime national-socialiste et aurait été exposé à toutes les difficultés qu’ont à subir les adversaires de M. Hitler. C’est ce qui explique la participation massive des inscrits au scrutin du 29 mars. La majorité, la presqu’unanimité obtenue par M. Hitler s’explique par les circonstances intérieures en Allemagne qui ne permettent pas d’antres convictions, mais elle s’explique aussi par le fait que le peuple allemand a réellement confiance dans le régime actuel qui a contribué au relèvement du Reich et à son renforcement extérieur. Les manoeuvres de M. Hitler ont, jusqu’à présent, parfaitement réussi. Il a réannexé la Sarre, il a occupé la Rhénanie, il a réarmé le Reich, il lui a donné une flotte. Dans ces conditions il est expliquable que le peuple allemand ait confiance dans le Führer et qu’il l’ait manifesté à l’occasion des élections. M. Hitler le savait. Pourquoi alors avoir entraîné le peuple dans une parodie d’élections? L’explication des élections est plus intéressante et plus grave que le fait des élections elles-mêmes. M. Hitler avait besoin de montrer à Londres, Paris et Genève que son acte, même la violation des traités librement consentis, était approuvé par le peuple allemand, que derrière lui, il a tout ce peuple prêt à suivre son conducteur là où il voudra le mener. C’est la façon ,,sui generis” de M. Hitler de prouver que l’opinion publique de son pays le suit. Les élections du 29 mars doivent l’Allemagne confirment, d’une façon éclatante les sages observations de leur Grand Frédéric. Non, les allemands n’ont tien appris. Pour eux l’histoire n’est pas un enseignement, mais seulement une source d’orgueil. Et cette infériorité est peut-être une des grandes raisons des souffrances de l’Europe, de ses misères et de ses déchéances. Le jour où l’Allemagne cessera d’être la nation la plus apolitique de l’Europe, ce jour là, il n’y aura plus d’obstacles pour l’organisation de la paix. La campagne électorale a associé le peuple allemand aux actes de violation des traités internationaux de M. Hitler. Il sera désormais frappé par l’opprobre du monde civilisé tout entier et qui jusqu'à présent ne frappait que M. Hitler seul. donc être considérées comme une pression sur l’étranger et comme une preuve que Hitler travaille d’accord avec son peuple, indifféremment du fait qu’il ait confisqué sa volonté et les possibilités d’expression de cette volonté. La situation interne du Reich est désespérée. Le peuple allemand meurt littéralement de faim. La balance économique est déficitaire, les articles alimentaires sont rares et les possibilités de résistance et de patience du peuple allemand sont épuisées. Dans ces conditions, Hitler, suivant l’exemple de tous les dictateurs, de toutes les époques, a été obligé de créer des diversions pour que le peuple puisse oublier ses misères quotidiennes. C’est ce qui explique ses coups de théâtre extérieurs, donnés à des intervalles assez réguliers et appelés à suppléer aux manques de toutes sortes qui tourmentent le peuple allemand qui meure de faim pour permettre les armements. Les récentes élections ont donné à Hitler la diversion désirée. La campagne électorale a été pour lui une occasion d’étaler devant tout le peuple ses succès extérieurs. La propagande faite dans tout le pays a électrisé le peuple, l’a remonté et l’a fait songer bien plus au pays qu’à ses besoins. Le peuple allemand a été narcotisé à nouveau pour un certain temps. Hitler a su cette fois encore le suggestionner et lui faire oublier ses misères devant la situation que le Führer lui prépare parmi les autres nations. Les élections ont donc eu ce double but: renforcer sa situation au dehors car maintenant, Hitler peut parler à Londres an nom de tout le peuple allemand et renforcer sa situation à l’intérieur car le peuple, éxalté de ses succès à l’extérieur donne la possibilité au régime national-socialiste de rester au pouvoir. Du reste, la presse anglaise a expliqué que M. Hitler, voulant lever de nouveaux impôts, a eu besoin de la diversion rhénane pour pouvoir demander au peuple de nouveaux sacrifices. Les élections donc, faites dans les conditions où elles ont été faites, ont atteint leur but. La campagne électorale a provoqué la diversion dont M. Hitler avait absolument besoin pour sa consolidation intérieure et le résultat des élections lui donne l’autorité nécessaire pour parler au nom du peuple entier, qu’il a associé de la sorte à ses actes de violation des traités internationaux et qui sera désormais frappé par l’opprobre du monde civilisé tout entier, opprobre qui jusqu’à présent ne frappait que M. Hitler seul. LaBoîte aux Lettres Le 30 mars, 1936 Hitler joue la discorde francoanglaise. • * * L’idée est très simple. Par le truchement d’une amitié anglo-allemande le chancelier essaye de construire un pendant à la politique d’Edouard VII, qui en isolant le Reich avait préparé la défaite de 1918. Croit-on vraiment à Berlin que l’Angleterre pourrait s’exclure de la prochaine conflagration? A-‘t-elIe pu rester neutre en 1914? Mais il parait qu'en Allemagne on espère, qu’un jour l’Empire britannique se trouvera aux cotés du Reich dans un éventuel conflit en Europe. On se demande si M. Hitler ou Ribbentrop ne se font pas de trop grandes illusions en tablant sur la discorde franco-anglaise. Les chefs allemands devraient étudier à cette occasion, plus profondément l’oeuvre de Frédéric II, dont l’anniversaire est commémorée durant toute cette année. Le Roi philosophe est assez actuel et beaucoup de ses leçons pourront servir aux dirigeants du 111-ème Reich, qui ont encore beaucoup à apprendre sur la vie, sur la politique, et sur l’histoire. Frédéric le Grand savait qu’il faut toujours compter sur le hasard. Celui-ci vient souvent à l’encontre des plans les mieux étudiés. Quelquefois, lorsqu’on prend toutes les assurances pour faire réussir un programme d’ordre diplomatique ou militaire, il suffit de très peu, pour que l’innatendu intervienne, en bouleversant un travail et les efforts de plusieurs années. Mais les expériences de Frédéric qui avait surtout perdu les guerres dont les victoires lui semblaient hors de doute, n’ont pas servi au Kaiser Guillaume 11. Les expériences tellement caractéristiques de ce dernier ne serviront point à Hitler. Il est peut-être bien de laisser parler le Roi philosophe: „De nouvelles ambitions exciteront toujours de nouvelles guerres et causeront de nouveaux désastres; car'c’est le propre de l’esprit humain que les exemples ne corrigent personne; les sotises des pères sont perdues pour leurs enfants; il faut que chaque génération fasse les siennes“. En tablant sur la discorde franco-anglaise (la presse allemande ne peut cacher sa joie constatant que M. Ribbentrop a été reçu par Edouard VIII vingt-quatre heures après son arrivée à Londres, tandis que M. Flandin a mis, pour être reçu quatre jours, et que M. Avenol de la S. D. N. a attendu l’audience plus de dix jours) en interprétant avec un enthousiasme indiscret l’intervention de M. Neuville Chamberlain, pour faire croire au peuple que l’Angleterre abandonnera sous peu la France pour se mettre à çoté du Reicht les dirigeants de \ Alfred Hefter En page 3: M. Mihalache le glorieux En page 7: L'Allemagne prendra-t-elle part à la Conférence des Etats- Majors? 3. M. le Roi visite les travaux de la „Luna B. iuicsiilor” MERCREDI I AVRIL 1936 VEUILLEZ RECLAMER QUAND VOUS NE RECEVEZ PAS VOTRE JOURNAL A TEMPS ABONNEMENTS MADAME COLETTE, ACADEMICIENNE... Malgré l’appel de Lamartine qui, dans son discours de réception, regretta que les femmes ne soient pas admises à l’Académie française, malgré d’autres illustres sollicitations, les quarante se montrèrent toujours irréductibles, objectant qu’il serait inadmissible de voir une femme candidat, obligée de faire les fameuses visites-Lamartine répondit en son temps qu’on pourrait créer quelques fauteuils supplémentaires, où l’on appellerait, sans les élire, des invités. L’idée qui eut peu de succès n’a pas été reprise. Pas d’académiciennes dans l’illustre assemblée, chargée à l’origine, il est vrai, d’une besogne austère, la rédaction du Dictionnaire. L’Académiè Royale de langue et de littérature française de Bruxelles, elle, ne laisse aucune célébrité sur son seuil, et, après avoir accueilli la comtesse de Noailles, elle va bientôt compter parmi les^ sien3 un écrivain français de génie,_à l’art subtil, puissant et mystérieux! Mme Colette. Le 4 avril prochain au cours d’une séance qui promet d’être sensationnelle, M. Valère Gille, un poète de la noble race, prononcera le discours de reception de l’auteur de Chéri qui répondra par l’éloge de la comtesse de Noailles, à laquelle elle succède. La cérémonie devait avoir lieu ce mois-ci, Mme Colette demanda un sursis, et M. Valère Gille, en s’empressant d’acquiescer, déclara qu’ainsi „le printemps serait de la fête”. Vous connaissez la chienne bull, la chatte, la servante Pauline et ce décor enchanteur et fleuri que la grande romancière fait naître autour d’elle. Dans son nouvel appartement de l’avenue des Champs-Elysées où elle nous reçoit, des épées de verre, aux poignées multicolores, des youles, d’étranges flacons, cinglante objets de Part cLti feu* ,à fin de caresses” achèvent d* composer une atmosphère où les vives couleurs se mêlent à la douceur des soies et des fourrures. Mme Colette prépare son discours et dès que nous abordons ce sujet, elle nous interrompt pour avouer: — J’ai le trac, un trac sans borne« Et l’auteur de l’Envers du Musid Hall, la conférencière de l’A. B. G, ne plaisante pas. — Je ne parlerai pas longuement ajoute-t-elle pour n’ennuyeS personne. J’ai assez peu connu Anna de Noailles, mais je l’ai toujours rencontrée chez des amis intimes, chez Robert de Montesquiou surtout, dans son manoir de Neuilly, Elle était très choyée à une époque où j’étais tout a fait obscure. Je me souviens des hommages qu’on lui rendait; de Montesquiou avait même fait faire un moulage de la main et du pied de la comtesse. „Je voyais toujours Anna avec son ombre tendre, sa soeur la princesse Hélène de Chimay, qui avait un don d’écrivain ravissant. Elle sortait rarement sans elle et lorsque Hélène mourut, Anna, minée par le chagrin lui survécut à peine et alla bientôt la rejoindre”. Mme Colette interrompt là un nouveau chapitre de „ce que Claudine n’a pas dit”. L’Académie de Belgique qui en aura la primeur, n’a sans doute que très rarement entendu un éloge comme celui qu’on lui prépare pour le début du mois prochain. La coutume académique ne veut-elle pas en effet, que l’on célèbre dans les discours le personnage officiel qui vient de disparaître? Cette fois il en sera fort peu question et la nouvelle élue aveo un parfait mélange d’instinct et de jugement déssinera un portrait comme elle excelle à les faire de „la femme” qu’elle a connue, de cette femme qui écrivait dans „La nouvelle Espérance”: — J’aime l’instinct, la force et la fie, et tout ce qui crie, s’élance et tombe, et tout le mauvais caractère humain, si touchant et si sensible... — Je porte en moi, dans l’obscur moimême, une race secrète et brûlante... — J’ai aimé toutes les choses du monde d’une passion exténuante ?” Qui mieux que Mme Colette, pouvait faire revivre cette poétesse et son active sensualité? Paris, mars 1936 Jean Fraysse En page 8: LE „MOMENT“ ILLUSTRÉ