Le Moment, Septembre 1938 (Année 6, no. 1058-1083)
1938-09-01 / no. 1058
BUCAREST 6me ANNÉE — No. 1058 Taxe postale payée "3fi^8WBil^^^^SnformemenJ BUCAREST 16. RUE BREZQIANU Rédaction, Administration Tél. 3.10.40 Direction > Téléphone 4.23.34 a IMPRIMERIE et Ateliers de Photogravure „Le Moment" 2, rue Arist. Demetriade, Tél. 5.19.91 DIRKCTEUR : ALFRED HEFTER Propriétaire : „Le Moment” S. A. Inscrit au registre de publication* du Trib. d’Ilfov sous le No. 243/1938 * Il a ^approbation No. 247/1935 des P. T, T>8 Pages 3 Lu Le Moment Journal de Bucarest QUOTIDIEN ILLUSTRÉ D'INFORMATIONS POLITIQUES, ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Les relations ÎLES TURCS RENTRENT EH EUROPE roumano-tchOcoslovaques Le premières années du kémalisme furent caractérisées par la concentration de tous les efforts de la Turquie nouvelle en Anatolie. Les Turcs délivrés de la dynastie d'Osman et de l’ottomanisme qui les avaient portés jusque devant les murs de Vienne, faisaient chemin en arrière et rentraient dans l’immensité de l’Asia Mater. Constantinople était reniée, stygmatisée et abandonnée en faveur de l’antique Ancyre. La Thrace, évacuée par les populations allogènes, devenait un véritable désert et sa capitale Andrinople, une bourgade sans importance. La République kémaliste réalisait ainsi, dans ses grandes lignes quoique sous un aspect nouveau, le plan du maréchal von der Goltz, l'Ancien. CETTE PREMIÈRE PÉRIODE, qui s’étend depuis l’éloignement forcé de Mustafa Kemal de Constantinople jusqu’à la conférence de Montreux, se développe sous l'égide bienveillante de l’U. R. S. S. Durant ces longues années la politique turque est nettement dirigée contre l’Angleterre et son influence sur le continent asiatique. Les deux bases du Royaume- Uni dans la région du Caucase, la Géorgie et l’Arménie sont supprimées, la première devenant entièrement soviétique, la seconde, réduite à la région d’Erivap pour l’entrer bientôt dans l'orbite de Moscou. L’avance grecque en Anatolie est enrayée. Smyrne est récupérée. Le Kurdistan est soumis par les armes, mais la région de Mosson! tombe entre les mains des La suppression de la ligne démilitarisée de Thrace permet aux autorités turques de décupler la garnison d'Andrinople-Kirkklissé dont les effectifs ont été portés de 5.000 50.000 hommes. Le réà armement de ces places-fortes qui furent rasées en exécution des traités de Sèvres et de Lausanne, garantit la défense, du côté de l'Europe, d'Istamboul et des Dardannelles. La Turquie, efficacement appuyée par l'Angleterre et en étroite collaboration avec les Etats de l'Entente balkanique, rentre avec corps et bagages et drapeaux déployés en Europe. Britanniques. L’armée et l’industrie turques se développent grâce à l'appoint précieux que leur apporte l’U. R. S. S. La Turquie grandit en force et importance et resserre ses liens avec l'Iran et l’Afghanistan. Le coup d’Etat du colonel Bekir Sidki à Bagdad fait miroiter devant elle la possibilité d’une mainmise sur les pétroles de l’Irak, mais deux coups de carabine, à bout portant, tirés dans l’aérodrome de Mossoul, mettent un terme à ce beau rêve. Le colonel Bekir Sidki et son principal lieutenant Mahmud Ali pacha Djawad avaient cessé de vivre. LA SECONDE PÉRIODE KÉMALISTE commence officiellement avec la conférence de Montreux qui remit à la Turquie les clés de la Mer Noire en lui permettant de réarmer le Bosphore et les Dardannelles. Le monde vit alors que la jeune Ankara avait banni de son coeur le gros camarade Maxime Litvinov, usé par le temps, pour le remplacer par le beau et élégant gentleman Anthony Eden. C’est que la Turquie devenait de plus en plus méfiante envers l’Italie, maîtresse de Rhodes, de Cos et de tout cet archipel d’où celle-ci domine une des issues de la Mer Egée et plus de deux cents kilomètres de la côte anatolienne. La Russie était trop loin pour être utile en Méditerranée et sa flotte nettement inférieure à la flotte italienne. Il fallait chercher un ami fort sur mer et solidement assis en face des Italiens. H était tout prêt et à proximité, dans l’île de Chypre. Il sera bientôt accueilli avec enthousiasme à Tchechmé et s’installera discrètement à Smyrne et aux Dardannelles. Dorénavant la politique extérieure turque ehangera complètement d’aspect. Par le pacte de Saadobad avec l'Irak, l’Iran et l’Afghanistan, elle s’assurera la tranquillité à Dr. S. ULPIA (Suite page 2) SUR LES TOITS DE L'EUROPE LES TOURTERELLES. — (s(e serrant Inn« ««"tre l'autre)» —■ Ca sent l’incendie.. LES CORBEAUX. — Nous l'Iattendons! i .F «jtüDI 1 SEPTEMBRE 1938 AUREL VLAICO le grand précurseur de l’aviation roumaine. On commémore aujourd’hui le 25. èine anniversaire de sa mort. M Il y a cette année 20 ans depuis que la Tchécoslovaquie, a rompu les chaînes d‘un esclavage trois fois séculaire, pour reprendre son indépendance, dans les circonstances et grâce aux mêmes conditions qui ont permis à la Roumanie de réaliser le rêve millénaire de l'affranchissement de ses fils subjugués. Si nous regardons en arrière et essayons de faire le bilan des relations roumano - tchécoslovaques depuis toujours, en tenant compte du développement où elles sont arrivées, nous ne pouvons que constater dès le commencement une identité d'intérêts dont la permanence nous a rendu frères, nous a lié nécessairement les uns aux autres. Avant la guerre, ayant à lutter contre la même adversité, Roumains et Tchécoslovaques, sous la domination des Habsbourg, furent fatalement d’étroits groupements politiques unis pour défendre leurs intérêts nationaux toujours menacés. Après la guerre, au moment où l'Etat Tchécoslovaque a eu sa forme personnelle d'existence politique, cette collaboration platonique s'est avérée une réalité consacrée par un acte d'alliance formelle d’Etat à Etat, le pacte de la Petite Entente. Il existe une conviction générale que la force pacifique que représente la Petite Entente servira à unir — de concert avec les grandes puissances voisines — les. efforts de tous les Etats de cette région pour arriver à réaliser une paix durable, qui permette à tous d'accomplir leur mission historique et le bonheur de leurs peuples. La Petite Entente, dont les éléments aux côtés de la Yougoslavie, sont la Roumanie et la Tchécoslovaquie, est aujourd’hui une des plus fortes et durables alliances régionales d'Europe. Renforcée par toutes sortes de mesures destinées à resserer les relations entre ces trois Etats, la Petite Entente se base non seulement sur son but initial, qui est la nécessité de défendre les frontières garanties par les traités, mais aussi sur des intérêts immédiats économiques et culturels. A ce point de vue, tant la Roumanie que la Tchécoslovaquie peuvent se vanter d'avoir fait tout ce qui leur était possible pour un solide rapprochement, pour une plus sérieuse connaissance réciproque. Ainsi sur le terrain économique a-t-on obtenu la réalisation d'étroits rapports, pour l’approfondissement desquels on travaille sans relâche et solidement. Les derniers résultats obtenus par les conférences économiques de la Petite Entente, dans le domaine du tourisme, des communications, du transport, etc. sont éloquents à ce point de vue. Une convention culturelle et scolaire assure la protection de l'enseignement des deux pays, un échange permanent d'étudiants, aux frais de l'Etat qui accorde des bourses, échange d'artistes ainsi que toutes sortes do manifestations à caractère culturel. Ces fréquentes visites réciproques ont permis que nos peuples se connaissent de plus près et s'apprécient. L’amour, dont jouit le peuple roumain en Tchécoslovaquie, s’est fait jour lors des grandioses manifestations d'estime et de joie, que la Nation Tchécoslovaque à l’unanimité à prodiguées à Sa Majesté le Roi Carol II, à l’occasion de ses visites en Tchécoslovaquie. Ce fut un témoignage du prix qu'on accorde à Prague au bon voisinage et à l'alliance avec la Roumanie, mais ce fut également une preuve de la popularité et de la sympathie dont jouit chez nous le Souverain du Royaume Roumain. S. M. le Roi Carol H a su donner un plus grand élan à la fraternité populaire entre la Tchécoslovaquie et la Roumanie, démontrant de la sorte à quel point nous sommes liés spirituellement : à l’occasion des récentes fêtes des Sokols, des centaines de „Strajeri” avec leurs commandants sont venus à Prague sous l’impulsion du Souverain, pour manifester à côté de la jeunesse tchécoslovaque la fraternité de pensées et d’idéals. Ce sont là des preuves d’estime réciproque, qui font garder aux deux Nations alliées une confiance réciproque, convaincues que les temps difficiles les trouveront aussi unies qu’en temps de paix. FERDINAND VE VERRA Ministre de Tchécoslovaquie à Bycarest Le 30 août 1938 „Havas" transmet: l'unanimité de la pressç française de ce martin, de l'extrême gauche et jusqu'à l’extrême droite, commente le problème de la Tchécoslovaquie et déclare que celle-ci trouvera la France à ses côtés, en cas d'agression. » * * C’est Anatole de Monzie, l'actuel ministre des Travaux Publics, qui avait dit un jour: „La France fait du petit contentieux dans les périodes de calme, mais donne des preuves de grandeur en temps de risques". On le constate aujourd'hui. 11 y a quelques jours, nous comparions ici la situation internationale, telle qu'elle se présentait au mois de juillet 1914 à celle d'aujourd'hui, en regard de la position de l'Angleterre, pour tracer la cloison étanche séparant l'indécision de naguère de l’irrésolu John Bull à son attitude claire de maintenant. Et nous disions: cette différence dans la manière de se comporter de la Grande Bretagne ne permet plus au troisième Reich de jouer sur des déclarations ambiguës de Londres, ou d'explorer, à son avantage, l'isolationnisme britannique comme l’a fait l'Allemagne de Guillaume II, qui le 1-er août 1914 croyait encore en la neutralité du Royaume Uni. Aujourd'hui M. Hitler est fixé, et sur l'étendue de l’alliance franco-britannique, et sur la portée des discours de MM. John Simon, Winston Churchill et Thomas Inskip, et aussi sur les intentions de M. Neville Chamberlain. Voilà un atout en faveur d'un règlement pacifique de tous les conflits qui naissent quotidiennement aux frontières de la Grande Allemagne. La situation intérieure de la France en constitue un second. La semaine dernière on se croyait à l'étranger, à la veille d'une nouvelle crise de gouvernement. Mais la France sait merveilleusement bien tirer les enseignements des expériences du passé. Le 10 mars, le cabinet Chautemps démissionnait. Le 13 mars, les troupes allemandes entraient en Autriche. Le lendemain lorsque fut constitué le 105-ème cabinet français, c'était déjà trop tard pour réagir. La semaine dernière, les Sudètes allemands avaient rejeté en bloc les propositions du gouvernement tchécoslovaque. Les négociations cessèrent. Le collabora-teur le plus intime de Lord Runciman dut prendre l'avion et se rendre sur le champ à Londres. Si les partis français de gauche avaient tiré alors toutes les conséquences du discours de M. Daladier et avaient provoqué la chute du gouvernement, qui sait si les quinze cent mille hommes, se trouvant sous les armes dans la région Nord-Est de VAllemagne ne se seraient pas engagés dans le chemin de Prague? Mais socialistes de toutes les nuances et communistes, même, ont estimé que l’heure était grave, que le gouvernement devait rester, bien pins, il fallait lui donner 1'autóiké nécessaire pour parler et pour agir au nom de la France. Us ont transigé sur un principe social pour se mettre d’accord sur un principe national. En temps de risques plus de contentieux: rien que des preuves de grandeur. „Quand la balance oscille entre la paix et la guerre, le moindre poids peut la faire pencher" a écrit le chef socialiste. Personne, en France, n'a voulu assumer l'énorme responsabilité de la faire pencher du côté de la guerre. Aujourd'hui — et les échos de presse en témoignent — une parfaite identité de vues existe de nouveau, sur la question extérieure, entre tous les vingt et un groupements politiques français. „L'Humanité", officieux communiste, lance un appel à l’union et s'adresse non seulement aux masses ouvrières mais bien aux catholiques aussi, comme aux démocrates, aux républicains et à tous ceux qui siègent sur les bancs de la droite et de l’extrême droite. „Si le Fuehrer attaque la Tchécoslovaquie, il se trouvera devant une France fidèle à ses engagements" écrit ce journal. „L'Action Française", de l'autre extrémité, avertit l’Allemagne que la France reste une et indivisible et que la jeunesse française n'hésitera jamais à suivre l'exemple de ses prédécesseurs. Le Troisième Reich sait mieux que l'Allemagne de Guillaume II à quoi elle s’expose en poussant les choses au pire. Si donc le „turor teutonicus" — comme l'écrivait il y a deux jours M. Henri de Kerillis — ,,n‘a pas irrémédiablement obscurci son sens politique", l’Allemagne devrait conclure qu'un arrangement, même mauvais, vaut mieux qu'un bon procès et beaucoup mieux, qu'un recours à la guerre. L’Empire du Soleil Levant pourrait lui en donner des nouvelles. INTÉRIM La naissance de l’acrobatie aérienne Paris. Août 1938 Peut-être ami lecteur, qui souvent contemplez dans le ciel nos avions se livrer à d'éffarantes et vertigineuses acrobaties, vous êtesvous demandé quelles circonstances avaient amené les premiers pilotes d’aéroplanes à prendre conscience de telles possibilités? Quels motifs impérieux avaient pu les lancer dans pareille < aventure? Avez-vous réalisé la somme d'énergie, de sang-froid, de „cran” pour tout dire, que ces tprécurseurs avaient du déployer? Peutêtre aussi avez-vous demandé leurs noms?... Certes ceux de Pégoud, de Garros, sont présents à votre mémoire, mais les autres, les Chevillard, les Perreyon les Chanteloup, qui ont immédiatement suivi les traces de leur prestigieux initiateur sont maintenant à peu près oubliés. D'autres pilotes prédécesseurs ou contemporains de Pegoud, s’étaient fait remarquer par leur grande virtuosité, mais c’est à lui que revient sans conteste la gloire de .'la première et sensationnelle expérience d’acrobatie aérienne, raisonnée et voulue. Le but du hardi pilote n'était pas de créer une nouvelle voltige, il recherchait dans l'étude complète de toutes les circonstances du vol, des éléments certains de sécurité. Lors de sa première descente en parachute, le 19 Août 1913, Pegoud, ancien cavalier (il avait servi aux chasseurs d’Afrique, corps d'élite) songeait déjà à la haute école aérienne. Aussi, tout en descendant doucement vers le sol, retenu aux suspentes de son appareil observait-il curieusement les évolutions de donné, piquant, l’aéroplane abanse rétablissant, remontant même, effectuant en un mot, avec une étonnante facilité, les plus gracieuses cabrioles qu'il était possible d'imaginer. Dès son contact avec le „plancher des vaches" Pégoud l’audacieux avait pris sa décision: ce que l’aéroplane avait pu accomplir sous l'impulsion de la pesanteur et la poussée des courants aériens, il le recommencerait mais cette fois soumis à la volonté et au contrôle de son pilote. Quinze jours s'étaient à peine écoulés, que le sympathique aviateur, après de sérieuses études et un entraînement judicieux réussissait à voler la tête en bas sur une distance approximative de 500 mètres (Juvisy — I-er septembre 3913). Quarante-huit heures après, cette fois à Bue, sur le terrain de l'école Blériot, il renouvelait le même exploit. Puis s'élevant à 900 mètres, piquant à mort et se retournant ensuite sur le dos, il exécutait la boucle supérieure d’un S gigantesque. Ayant de nouveau volé la tête en bas sur environ 600 mètres, il remettait son appareil en descente verticale et se redressant ensuite achevait avec une parfaite aisance, la deuxième boucle de la lettre commencée. Il ne devait pas en rester là. Avec la collaboration Blériot, un plan qui ne de Louis laissait rien au hasard avait été méthodiquement préparé. Outre les expériences suivantes restaient encore à effectuer: 1) — Le retournement de l'aéroplace dans le plan perpendiculaire à l'axe du fuselage et son rétablissement. 2) — La glissade sur l’aile et son redressement. ANDRE BIE Archiviste au Service des Eludes Historiques de l'Air (Suite page 2J