Le Moment, Novembre 1938 (Année 6, no. 1111-1135)

1938-11-02 / no. 1111

BUCAREST 6me ANNÉE-—No. I UK ü eâtüT IS. SUS BREZOIANU Rédaction, Administration Tél. 3.10.40 Direction î Téléphone 4.25.34 a IMPRIMERIE et Ateliers de Photogravure „Le Moment" 2, rue Arist. Demetriade. Tél. 5.19.91 ui it KC'rmiR s ALFRED HEFTER Propriétaire i „Le Moment" S. A. Inscrit au registre de publications du Trib. d’Ilfov, sous le No. 243/1938 Tue pesisl* psfCs űnriwust, eanfemtmu) ‘’approbation &•. 247/1855 da P. X. T. Papes S Lei Le Moment Journal de Bucarest QUOTIDIEN ILLUSTRÉ D’INFORMATIONS POLITIQUES. ÉCONOMIQUES ET SOCIALES EN MARGE DU CONGRÈS DE SIBIU L’action de M. Eugène Tileano et le rôle de la presse Le congrès qui a réuni dimanche à Si­­biu les représentants 'MmijËL de la presse de pro­­• TM vince, les discours, très importants, qui y ont été pro­noncés, l’idée qui y fut émise de tédiger un code de la presse, ainsi que la nécessité d'organiser sur des bases corporatives le métier de journaliste, ont remis à l’ordre du jour, et avec une acuité particu­lière, le problème si capital, si vi­tal d’assurer une existence dan3 l’honneur au quatrième pouvoir de l’Etat. Examinons ce problème à la lu­mière des événements qui se sont déroulés depuis le 10 février, à la lumière aussi des récentes lois sur la presse de Roumanie et des dé­clarations qu’a faites dimanche M. Eugène Titeano, sous-secrétaire d’Etat à la Presse et à la Propa­gande. La nécessité de ce nouvel examen s’impose à cause de l’at­titude incompréhensive de ceux qui ont en premier lieu, tout intérêt à prolonger et soutenir les moyens de diffusion des idées saines, conser­vatrices! bourgeoises ainsi que les organes de propagande de la paix sociale, la concorde civique, l’or­dre et de la sécurité. Pour parler clair et pour dé­jouer l’attitude commode de ceux qui feignent ne pas comprendre les allusions, même transparentes, afin de se soustraire à une obliga­tion morale et naturelle, élémen­taire, disons que ce sont: la haute finance, la haute industrie et le grand commerce ou comme les qualifie M. Titeano „la ploutocra­tie possédante” — qui, sauf d’heu­reuses exceptions, qu’on ne man­quera pas de mettre à l’honneur, se sont montrés lents à faire leur devoir. Depuis le 15 novembre 1937 et jusqu’au 10 février 1938, haute fi­nance, haute industrie, grand commerce ont traversé en Rouma­nie une crise grave qui a failli ébranler même les institutions les plus vieilles, les plus renommées et les plus solides. La cause de cette crise avait sa source dans un total manque de confiance. Et le man­que de confiance était dû à une complète insécurité du lende­main. Ce sentiment d’insécurité était issu de l’anarchie morale dans laquelle était plongé le pays, des continuelles menaces des extrémis­tes de droite et de gauche, de l’at­mosphère où préludait la guerre ci­vile, des slogans qui couraient les rues : expropriation des biens, divi­sion des terres, abolition des det­tes et autres pareilles idées révo­lutionnaires. Et la haute finance, la haute in­dustrie et le grand commerce, sai­sis de panique, dépensaient des centaines de millions, soit à sou­tenir la résistance des partis po­litiques de l’ordre, soit à s’acheter par anticipation la bienveillance, sinon la sympathie, des groupe­ments révolutionnaires. Vint l’heureuse et créatrice ré­volution royale du 10 février. La presse, en premier lieu — (peut­­être parce que se trouvant à un poste d’où on peut mieux se rendre compte des dangers)—dès le pre­mier jour a salué avec enthousias­me l’avènement d’une ère nouvelle qui devait s’avérer par la suite une ère de tranquillité, de prospérité, et de sécurité. Les journalistes, conscients de leur devoir civique et patriotique, ont été les premiers volontaires à partir, sans conditions, pour prê­cher tout le long du pays les bien­faits d’un régime d’autorité et faire leur besogne de citoyens éclai­rés. En deux semaines, par une action virile, quotidienne, et con­vaincue, ils ont réussi à ramener les masses enivrées de slogans ré­volutionnaires, sur le front du sa­lut public. Et le 27 février, on a eu cette unanimité splendide qui s’est ralliée à la nouvelle Charte et avec discipline, s’est rangée derrière le Grand Chef. Il n’y avait à ce moment là, ni de sous-secrétariat d’Etat à la (Suite page 3) Le 31 octobre On confirme officiellement la mise en arrestation du maréchal Bluecher, qu'on vient d'amener sous escorte à Moscou. * * * On sait que, en U-R-S.S. les hommes du régime, les tout puis­sants, lorsqu’ils ne font plus l'af­faire des dictateurs, ne sont pas é­­cartés, ce qui leur permettrait de prendre rang dans l'opposition, mais, ils sont, dans la majorité des cas, compromis et supprimés. Dans la collection des ouvrages de Gorki, il y a un volume qui s’ap­pelle: „Lorsque l’ennemi ne se rend pas, il faut le supprimer". Le chef de l'Etat soviétique s'ëst inspiré certainement de Gorki, lorsqu'il a décidé une fois pour toutes d'anéantir l'opposition, au lieu de la convaincre. Pourtant, Staline et surtout Gor­ki, ont été de grands pacifistes et adversaires en principe, de toute brutalité: „Toute ma vie j’ai été pacifiste”, écrit Gorki. „La Guerre ne faisait que me dégoûter. Elle constitue une honte pour l'homme, et j'avais pour le provocateur de l’assassi­nat en masse, rien que de la hai­ne, et je détestais de tout mon coeur, tous les destructeurs de l'harmonie et de la vie!". Comment sont-ils devenus, à J force de lutter sur le plan social et politique, si cruels et sanguinai­res? „Après la lutte héroïque que les affamés et les nu-pieds, et les ou­vriers et les paysans en loques ont menée à bonne fin, pour essayer de construire un nouvel Etat, dans des conditions si difficiles, plus dif­ficiles que jamais, on s'est rendu compte de la nécessité d'une lutte inévitable, à vie et à mort, et je me suis rallié a l’idée que l'ad­versaire doit être supprimé lors­qu'il ne se rend pas!". C'est le catéchisme de Staline. L'a-t-il trouvé dans le testament de Gorki, ou est-ce ce dernier qui s'est approprié la doctrine du hé­ros de Kremlin? L'avenir nous le dira. En tout cas, M. Staline n’accep­te pas la démission de ses collabo­rateurs. Il n'admet pas la critique. 11 ne veut pas de discussion con­tradictoire. 11 n'accorde aucune li­berté pour manifester les opinions, et, ce qui est encore plus extraor­dinaire, il n’accepte pas la faute, ni la carence. Il est implacable. U ne veut plus connaître ni le par­don, ni l’excuse. Réussira-t-il à régner sur un peuple de 160 millions d'hommes, infaillibles et d'une qualité d’âme absolue, dont la capacité serait à la hauteur de la morale, et l'abné­gation aussi grande que le désin­téressement? Aura-t-il la chance et le bonheur de se trouver à la tête d'un peuple immense, d'hommes parfaits et de citoyens sans reproche? L'idéal se meurt de trop d'idéa­lisme. ALFRED HEFTER Notre correspondant de Londres a pu re­cueillir dans les milieux diplomatiques et mili­taires certaines infor­mations qu’il expose dans cet article et qui indiquent clairement la portée de la nippone, tout en victoire don­nant des précisions sur des phénomènes très peu connus de la cam­pagne japonaise dans la Chine du Sud. I- SA La signification des der­nières victoires nippones (De notre réfaction de Londres) Londres, octobre 1938 Depuis des mois, le Japon pro­jetait de hâter la chute de Han­kéou par une attaque déclenchée au Sud de la Chine. Ce n’était pas un seul projet, mais toute une sé­rie, accompagnée d’une série pa­rallèle d’hésitations inhérentes. En fin de compte toutes les hésitations et les oscillations ont été refoulées, les troupes nippones sont descen­dues sur le littoral Sud et après une avance dont la rapidité ne fut égalée que par le mouvement de retraite des Chinois, les généraux japonais purent télégraphier à To­kio la nouvelle de la victoire fi­nale. Victoire FINALE? Il y a dn pour et du contre, il y a des pré­visions échelonnées sur des pério­des variables, et il y a surtout des arguments dont la teneur tient plutôt de l’analogie avec la canr pagne napoléonienne en Russie, que de la connaissance précise de la si­tuation actuelle. C’est pourquoi, pour se rendre exactement compte de la situation militaire actuelle en Chine et pour pouvoir conjonctu­­rer avec quelques chances de bien fondé l’éventualité plus ou moins immédiate, il faut avant tout exa­miner la nature des hésitations et des oscillations japonaises. En effet, aussi peu stratège qu’on soit, on peut facilement sc rendre compte que la conquête de Canton effectuée il y a quelques mois, Hankéou aurait été depuis longtemps conquis. Pourquoi est-ce que l’Etat Major Japonais n’a pas entrepris cette campagne du Sud au Nord, conjointement avec celle du Nord au Sud? Pourquoi hési­­tait-il? Quels étaient les facteurs qui l’empêchaient ou qu’il craig­nait? J’ai pu recueillir dans les cerc­les diplomatiques, dans celui des attachés militaires surtout, des in­formations assez révélatrices à ce sujet. Elles ont trait à la situation intérieure du pays, à la situation diplomatique et surtout aux pro­jets de l’état major nippon. Commençons par la fin. L’ex­pression de „projets de l’état ma­jor nippon” est une façon de par­ler. Quelque surprenant que c.-la puisse paraître, l’état major nip-pon n’avait pas de projets pour ce qui est de la campagne en Chine, ou tout au moins il n’avait pas de projets pour une campagne pou­vant durer un plus longtemps qu’une simple „expédition coerci­tive”. On est toujours disposé à broder sur le thème de l’hypocri­sie nippone. Mais cette fois, lors­que le Japon parlait d’une „expé­dition coercitive” il le croyait vrai­ment. Les informations des atta­chés militaires sont claires à ce su­jet. Le Japon espérait une victoire rapide. C’est pourquoi une des meil­leures armées du monde se trouva tout à coup entraînée dans le chaos des hésitations qui ont suivi les premières désapointements. La situation intérieure est en étroite relation avec ce manque de prévision de la conduite militaire. Et voici pourquoi. Considérant la campagne en Chi­ne comme une simple „expédition coercitive”, l’état major nippon n’employa pas dès le début un nombre de divisions suffisant pour emporter une victoire rapide. L’es­pace colossal où devaient évoluer les troupes a été cause que ce nom­bre insuffisant de divisions, dans leur continuelle action d’encercle­ment des troupes chinoises eus­sent naturellement laissé des brè­ches par où ces dernières réussis­saient toujours à se faufiler. La tactique chinoise était, elle aussi, très raffinée quoi que puis­sent en penser les stratèges de café. Les généraux chinois avaient l’ordre précis de ne pas lâcher pied. La résistance était donc acharnée. Et comme c’étaient les Japonais qui attaquaient et que dans la tac­tique moderne de la guerre les plus graves pertes sont du côté des as­saillants, les pertes japonaises en hommes furent particulièrement sensibles. Quand une division japo­naise était décimée, une autre nou­vellement débarquée prenait sa place. Devant ces nouvelles troupes fraîches, les Chinois avaient tou­jours l’ordre de se retirer pour é­­viter un combat décisif. On orga­nisait, plus à l’intérieur, une nou­velle ligne de résistance. Pendant ce temps les troupes irrégulières chinoises harcelaient jiisqu’à exas­pération l’arrière du front japo­nais. Les Japonais, dans leur a­­vance, n’avaient pas pu OCCUPER le pays, ils n’avaient fait qu’y lais­ser de maigres garnisons. Des di­visions entières étaient nécessaires aux toujours nouvelles garnisons (Suite page 6.« LIRE PAGE 7: LE REMANIEMENT DU CABINET BRITANNIQUE „LE JOUR DE L’ÉPARGNE” Tout le monde a fêté hier le jour de l'épargne. MERCREDI 2 ïi>BRE 1938 M. CHVCÄLKOVSKY Ministre des Affaires Etrangères de Tchécoslovaquie se rendra de­main à Vienne pour assister à la Conférence qui décidera des fron­tières hungaro - tchécoslovaques* CHRONIQUE LITTERAIRE THOMAS MAHN EN AMERIQUE Lausanne, octobre 1938 Dans sa lettre à l’infortuné do­yen anonyme de la Faculté des Lettres de Bonn, Thomas Mann, avec cette loyauté du grand artis­te envers soi et envers le monde, a écrit qu’il se sentait né non pour faire un martyr, mais pour être un représentant. Représentant, il l’est pour nous depuis de longues années: repré­sentant de la littérature allemande dans sa partie à la fois la plus ro­buste et la plus subtile; représen­tant die l’héritage commun de Goe­the et die Wagner, dont il a fait uns seule sagesse mélancolique, ironi­que, dissolvante et pourtant fécon­de; représentant de la langue alle­mande dans ses valeurs de culture et ses moyens d’expression; repré­sentant de l’Allemagne, celle des Buddenbrook, de Tonio Kroger, celle aussi, car c’est une Allemag­ne encore, qui vient jouer son rôle dans le grand roman de la conscien­ce moderne, de la Mort à Venise et de la Montagne Magique. Si l’Al­lemagne peut réclamer un siège dans ce conseil restreint, d’ail­leurs tacite, de la grande littéra­ture européenne, celle qui, dans la synthèse de quelques oeuvres vrai­ment centrales et créatrices, met tout le passé de la culture au ser* vice d’une expression aiguë du monde spirituel contemporain et ouvre une issue sur l’avenir de la pensée, c’est grâce à la person­nalité artistique de Thomas Mann. A côté d’un Proust, d’un Joyce, de tel autre encore, Thomas Mann y occupe une place définitive. Il a fallu une page d’histoire bien sombre pour faire de ce grand re­présentant de l’Allemagne spiri­tuelle un martyr involontaire. On sait qu’à l’avénement du régime national-socialiste, Thomas Mann a trouvé un refuge assez précaire en Suisse, près de Zürich, qu’il a perdu sa nationalité allemande; que ses livres ont été interdits dans le pays auquel ils font si grand honneur et pour lequel ils étaient écrits en tout premier lieu; que cet interdit s’étend aujour­d’hui à l’Autriche, s’étendra de­main sans doute à la Tchécoslova­quie (Thomas Mann était devenu citoyen tchécoslovaque) ; que Tho­mas Mann ne s’exagère pas le dan­ger s’il considère sa vie comme me­nacée dans le voisinage si proche de son pays natal. L’Europe est­­elle encore capable de le défendre? Je ne sache pas que lors des ac­cords de Munich il ait été question du sort du Chancelier Sehussnigg, hier encore chef d’état' avec qui traitaient tous les chefs d’état eu­ropéens, aujourd’hui pauvre victi­me dont plus personne ne se sou­cie. L’Amérique, en accueillant Tho­mas Mann comme elle Ta fait, a­­vec vivacité, avec chaleur, avec ad­miration pour l’artiste et pour l’homme, en lui donnant un nou­veau public, en assurant un sé­jour non seulement à sa personne mais à son oeuvre — l’Université de Yale ne vient-elle pas d’ouvrir une bibliothèque Thomas Mann où se trouvent réunis livres, manus­crits, traductions, lettres et docu­ments — arrache un martyr trop illustre à une cause qui, hélas, en compte assez, et qui a besoin beau­coup plus de représentants dignes d’elle. Elle permet à Thomas Mann de jouer à nouveau le rôle de re­présentant qui lui est naturel. C’est pourquoi, son adieu à l’Eu­rope ne comporte aucune malédic­tion; un avertissement, certes, et JACQUES MERCANTON (Suite page 2)

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