Le Moment, Juin 1939 (Année 7, no. 1273-1297)

1939-06-01 / no. 1273

BUCAREST 7-me ANNÉE No. 1278 BUCAREST 15. RUE B R E Z O I A N U Inscrit au registre de publication. Trib. d'ilfov, «ou. 1. No. 243/193Le Moment Journal de Bucarest QUOTIDIEN ILLUSTRE D'INFORMATIONS POLITIQUES, ECONOMIQUES ET SOCIALES Rédaction, Administration Tél. 3.10.40 Direction : Téléphone 4.25.34 Imprimerie et Ateliers de Photogravure 2, rue Arist. Demetriade, Tél, 5.19,91 DIRECTEUR: ALFRED HEFTER Propriétaire: Le Moment S. „Le Moment" » poifaV« aeqniHiimniespÎBêi ^nfom*mín I l'ordre Mo* 24s497jô5ô d® I»«Direction ^ G4nénle P^T*í X, Les Anglais desirent­­ils l’alliance russe? (De notre correspondant particulier) Londres, mai 1939 Pourquoi les conver­sations angle-soviéti­ques trainent-slles en longueur? C’est une question qui préoccupe non seulement les Anglais mais aussi l'opinion internationale. Le front de la paix est-il possible sans la Russie, se demande-t-on? Et si les discussions entre Londres et Moscou ne finissent pas assez vite, ne faut-il pas craindre que tout accord éventuel quel qu’il soit, perde de son effet? Bref, nous ca­che-t-on quelque secret? Essa­yons d’éclaircir ces points encore obscurs. Des secrets, il y en a certaine­ment. Les notes échangées entre Londres et Moscou sont confi­dentielles, comme le sont éga-lement la teneur des entrevues entre les diplomates et les mi­nistres des deux pays. Et il va sans dire que les discussions très franches qu’ont entre eux à ce sujet les membres du Cabinet bri­tannique, ne sauraient négliger le moindre aspect des termes et des implications prochaines et lointai­nes d’un accord éventuel entre l’Angleterre et la Russie. Les déclarations périodiques de M. Chamberlain sur les discussions angle-russes, et son important dis­cours aux Communes la semaine dernière, ne jettent qu’une lumiè­re bien indirecte sur ces implica­tions: elles tendent surtout à con­tenir l’impatience de l’opinion, et à ménager les susceptibilités de tous les intéressés. On a nettement l’impression que le Cabinet anglais voudrait bien, d’une part, aboutir à un accord avec les Russes; mais que, d’autre part, il est retenu par certaines craintes. La volonté d’aboutir s’est affirmée à plusieurs reprises dans les déclarations du Premier Minis­tre, quand il a dit que „nous accu­eillerons volontiers cette coopéra­tion, nous la voulons et nous lui attachons de la valeur”. Ou encore lorsqu’il a reconnu que le front de la paix devra contenir tous ceux qui partagent les idées paci­fiques de ses promoteurs. Mais à coté de cela, M. Cham­berlain nous a dit qu’il sent com­me un „voile ou une sorte de mur” entre Londres et Moscou. Que peu­vent être ces obstacles? Sont-ils insurmontables ? * « * Un premier obstacle est d’ordre psychologique, et il n’est pas le moins fort. Une grande partie des conservateurs anglais ne se sen­tent pas à l’aise à l’idée d’avoir à serrer la main des bolchéviques. C’est là une grosse difficulté, mais qu’on ne saurait qualifier d’insurmontable. Même l’Archevê­que de Canterbury a laissé dire gue l’Angleterre doit s’assurer de l’aide de quelque côté qu’elle vien­ne. Et puis, il ne s’agit point de s’identifier avec les Soviets. L’An­gleterre a bien montrée qu’elle est immunisée contre ces dangers. En­fin, même si la Russie veut pour­suivre sa propagande sociale, aux anglais de prendre les mesures né­cessaires pour la neutraliser, com­me ils l’avaient fait il y a quelques années. Ce sentiment d’hésitation et de retenue des conservateurs qui n’ou­blient pas, s’accroît de craintes é­­conomiques plus agissantes. Fra­terniser avec les bolcheviques, n’est-ce pas se rendre perméable à leurs idées hétérodoxes sur les questions économiques et financiè­res? Ne serait-ce pas commencer par faire une grande croix sur la question des dettes russes qu’on espère toujours voir réapparaitre? N’est-ce pas avancer de l’argent à fonds perdus à Moscou? N’est­­ce pas enfin se rapprocher, par la nature des choses, du régime éco­nomique soviétique qui a si dure­ment atteint le capital? Déjà les mesures de socialisation que les criconstances ont obligé l’Angle­terre à prendre, ne risquent-elles pas d’accélérer leur mouvement à la suite d’une alliance avec la Russie? Ce sont là des craintes réelles. Mais l’Angleterre, ici encore, pour­rait prendre des mesures pour y parer. Et d ailleurs l’exemple de la France, qui a opéré un si beau re­dressement ces derniers temps, est significatif. * * * Mais il y a aussi des raisons po­litiques à ces hésitations. Un pacte avec la Russie ne saurait manquer d’influencer également la politique de l’Extrême-Orient. Forte d’une alliance avec l’An­gleterre et la France, la Russie ne pourrait-elle pas précipiter les évé­nements en Chine, chercher des prétextes de querelles au Japon, et obliger ainsi les démocraties à prendre des mesures militaires en Extrême-Orient, ou a courir le ris­que d’y voir diminuer leur pres­tige? On sait que le Japon ne veut pas participer à titre égal à l'alliance Rome-Berlin. S’entendre avec la Russie, ne serait-ce pas renforcer le dynamisme de cette alliance? Autre chose serait le fait d’une alliance spécifique comme celle qu’­on envisagerait entre Londres, Pa­ris et Moscou. La coordination des mesures communes à prendre con­tre un agresseur éventuel, et la ré­ciprocité des obligations des alliés, ne sauraient certes pas favoriser une attitutde négative de Moscou au moment du danger. Il est enfin inutile de discuter les mérites ou les démérites militaires de la Russie. Quelle que soit l’o­pinion que l’on puisse avoir sur les forces russes, il est évident que le potentiel de guerre des Soviets et leurs masses d’hommes pourraient toujours être utiles aux démocra­ties en cas de besoin. Il vaut mieux savoir que ces facteurs seront du même côté de la barricade que de l’autre. Pour le gouvernement britanni­que, le problème ne doit pas être psychologique, économique, social ou de politique intérieur. L’allian­ce avec la Russie apparait comme une nécessité militaire. Que ceux qui s’y opposent veuillent bien nous dire ce que l’Angleterre peut faire pour aider les pays de l’Europe orientale en cas de conflit, en ayant la Russie neutre ou hostile. S’en­tendre avec l’Allemagne et l’Italie? Mais alors, aux dépens de quelle nouvelle Tchécoslovaquie? Là est la question délicate. THOMAS GREENWOOD de l’Université de Londres M. CHAMBERLAIN LE CIEL DE L’EUROPE EST MOINS SOMBRE Paris, mai 1939 Je n’insisterai pas sur les diffi­cultés qui, durant de longues se­maines, ont retardé et contrarié la conclusion de l’accord anglo-fran­co-soviétique. A quoi servirait-il aujourd’hui de marquer les erreurs de conduite des uns ou des au­tres? A quoi servirait-il de faire le départ des responsabilités réci­proques? Le résultat compte seul, à partir du moment où il est ac­quis. Or, à l’heure où j’écris, je ne crois pas qu’il y ait de témérité à le tenir pour tel. Les déclarations que M. Neville Chamberlain vient de faire à la Chambre des Com­munes signifient évidemment que le Cabinet anglais a donné son a­­dhésion de principe au projet que Lord Halifax apportait de Genève, et auquel, selon toute apparence, M. Maisky, plénipotentiaire des So­­viets, et M. Georges Bonnet, re­présentant de la République Fran­çaise, avaient déjà fourni leur as­sentiment préalable. Je ne crois pas que les paroles soigneusement pesées de M. Neville Chamberlain puissent comporter une autre interprétation. L’événe­ment est virtuellement accompli. Nous n’avons plus qu’à en marquer le sens et à en mesurer l'impor­­tance. Il y a trois mois, au lendemain de l’entrée de'M. Hitler à Prague, les gouvernements anglais et fran­çais, ont par un brusque coup de barre, renversé la marche de la po­litique européenne. Que le changement se soit pro­duit en eux ou en dehors d’eux, qu’il résulte de l’adoption de prin­cipes différents ou de l’application des mêmes principes à des circon­stances transformées, il importe en vérité assez peu. Ce qui est cer­tain, c’est que, sous la leçon impé­rative des faits, M. Neville Cham­berlain, comme M. Edouard Dala­dier, ont dû renoncer à fonder la paix de l’Europe sur 1‘accord an­glo-italien d’il y a un au, sur l’ac­cord anglo-allemand de septembre, sur l'accord francc-illemand de décembre. C’est qu’ils ont dû reconnaître que ces accords ont été frappés de caducité juridique ou pratique; ils ont dû recourir soudain à ces méthodes de la sécurité collective A la veille de la nature de l'accord sig­en­tre l'Angleterre et l'U. R. S. S., M. LÉON - BLUM, ancien président du conseil de France, nous envoie cet article, où il expose sur l'im­portance politique de l'alliance anglo-franco­­soviétique, le point de vue qu'il a fait connaî­tre dernièrement à M. Chamberlain, lors de son voyage à Londres. qu’on croyait ensevelies sous les sarcasmes et le discrédit. Par un grand effort de décision et d’énergie précipitée, la Grande- Bretagne et la France ont alors re­tourné la situation. Sans parler de la Belgique, de la Suisse, 4e la Hol­lande, elles ont couvert tour à tour de leur garantie la Pologne, la Roumanie et la Grèce, le main­tien du STATU QUO dans la pé­ninsule balkanique et dans le bas­sin de la Méditerranée. Elles ont improvisé un vaste sys­tème défensif dans lequel elles ont proclamé leur résolution d’englo­ber toutes les nations Telle est 1‘oeuvre qu’a hâtive­ment édifiée le gouvernement bri­tannique, appuyé par le gouverne­ment français. Cependant il y subsistait une la­cune béante. Une garantie formelle, expresse, était assurée à la Polog­ne ; mais cette garantie pouvait-elle offrir une entière efficacité sans le concours de la Russie Soviétique? On s’engageait à maintenir le STA­TU QUO dans les Balkans et dans le bassin méditerranéen. Mais cet engagement pouvait-il être rempli pleinement sans la coopération de la République Turque, laquelle dé­pendait en fait, dans une large me­sure, de la coopération russe. Pour opposer à l’agression et à la guerre une barrière vivante, on s’efforçait de rassembler et d’ag­­lomérer, par un ensemble de con­trats unilatéraux ou réciproques, la communauté des peuples pacifi­ques. Mais le rassemblement serait­­il complet sans la Russie et la Tur­quie; la barrière serait-elle suffi­samment solide avec une Russie in­certaine, ou même, qui sait? — bien que je rejette, quant à moi l’hypothèse — avec une Russie hos­tile? Aucune de ces considérations n'avait échappé au gouvernement britannique, puisque dès le premier moment, il a fait appel au gouver­nement des Soviets. Je répète que je m’abstiendrai de discuter la forme et le contenu de cet appel, les réactions du gou­vernement soviétique, le mode d’in­tervention du gouvernement fran­çais dans la négociation. Aucune de ces difficultés, qui étaient réel­les, n’a d'importance, auprès du ré­sultat. Tandis que des notes et des conversations s’échan­geaient laborieusement entre Londres, Paris et Moscou, l’al­liance militaire germano-italien­ne était signée et signifiée à Rome. Du coup, beaucoup d’appré­hensions sont tombées; beaucoup de préoccupations accessoires sont devenues soc objet. Cette fojs en­core la leçon impérative des faits a été entendue et comprise. Ainsi, nous avons tout lien de penser que maintenant l’efficacité des garanties anglo-françaises est assurée, que le rassemblement des puissances pacifiques est complété et resserré, que le système de la sécurité collective est rétabli, au­tant que le permet l’état présent de l’Europe. LÉON BLUM ancien Président du Conseil de France (Suite page 6) 00OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO0OOOOO0OOOOOOOOO0OOOO0 Demain : un article de M ANTHONY EBEN: „LE CHEMIN DE LA PAIX" — Ton plan est très bien, mon cher architecte, mais jé trouve que tu as donné trop d’importance au corridor. — C’est pour être sûr de plaire à mon client qui est Polonais. JEUDI I JUIN 1939 M. CORDELL HULL Secrétaire d’Etat de l’U. S. A., pré­pare des modifications à la loi amé­ricaine sur la neutralité SABIN VELICAN: Pâmant viu TTerre vi­vante) *) „J’ai levé un pan du rideau du monde, j’ai fait pénétrer la lumière dans un coin de ténèbres de l’hu­manité, pour les âmes compréhen­sives, pour la joie et la souffran­ce de ces grands coeurs ardents, où parfois palpite plus de vie que n’en, contient toute la terre”. Qui a écrit cela? Est-ce Gorki?, ou bien Panait Istrati? — Non, c’est tout simplement un maître d’école, exilé dans un village pen* du, sur la rive droite du Dnjestr, — Sabin Velican. Ainsi finit son „épître à la jeunesse” qui sert de préface à son premier roman paru en librairie, Pâmânt viu. C’est, au premier chef, un livre de vaste portée humaine et sociale, débordant de loin le cadre du ro­man, une fresque de la vie collec­tive du village roumain russifié,—• tableau fidèle jusqu’à la brutalité, bouillant de puissante vitalité, grouillant de types représentatifs de campagnards de Bessarabie, ce fier bastion moldave contaminé pan le mysticicme, la veulerie, l’i­vrognerie russes, ces grandes ma­ladies collectives. Un grand souffle tragique y cir­cule, émané d’un démophile qui ne juge pas de loin et de haut le monde qu’il évoque, mais partage lucidement, douloureusement sa; vie. „Terre vivante” est un livre réa­liste en ceci qu’il présente l’aspect complet de la vie, réalité et mysti­cisme mêlés, l’un commandant l’autre. Tous ces travailleurs de la glèbe, enchaînés dans leur anima­lité sont tourmentés par la soif d’é­vasion de leur étroite vie. L’auteur fait bien la part du feu—la gé­nération élevée sous l’ancienne do­mination, décontenancée par le3 grands bouleversements qui ont suivi la guerre, ne peut plus retrou­ver l’équilibre — mais dans la gé­nération nouvelle, dont le fils de moujik Sacha Pacoste est le type représentatif, percent déjà la pru­dence, la sobriété, la sage persé­vérance, l’esprit de conquête et l’endurance, caractéristiques du paysan roumain de partout. Dans ce livre remarquable il n’y a pas que les gens, la campagne bessarabienne elle-même paraît, battue par les rafales de neige, ra­vagée par l’inondation, enlaidie pap ces verrues humaines qui lui pous­sent, émouvante pourtant et en­flammant les coeurs de pitié et d’amour. „II ne suffit pas de penser. H faut avoir aussi de quoi habiller ses pensées. Une femme si belle fût-elle, ne sort pas nue. Plus elle se vêt avec goût, plus elle se rend attrayante” — voià ce que pense Sabin Velican du style. Avouons aussi que ses pensées à lui sont habillées de main de maître. S ID ONIA TUDOR *) Ed. Socec et Co. (Suite page 6)

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