Le Moment, Novembre 1939 (Année 7, no. 1400-1424)
1939-11-01 / no. 1400
& Paris, octobre 1939 La Société nationafrançais a été appelée à faire face, depuis la déclaration de guerre, le des chemins de fer à un double effort La mobilisation et la concentration des années ne pouvaient être accomplies sans le concours du personnel et du matériel des voies ferrées. Il importait aussi de ne priver le milieu économique des facilités de transport ferroviaire que pendant une durée aussi brève que possible. Les solutions de ces deux problèmes n’étaient point aisées. Elles ont été trouvées par les dirigeants d’un organisme qui a obtenu, par le fait de l’unité d’exploitation, des possibilités d’exécution plus souples que par le passé. Il serait cependant injuste de ne pas rendre hommage à l’énorme labeur des anciens réseaux lors de la déclaration de guerre de 1911, et dans des conditions particulièrement ingrates après la retraite de Charleroi et le déplacement des populations des pays envahis. Pendant la première quinzaine de guerre, en août 1914, plus de 3.000 trains circulèrent sur le P. L. M. La Compagnie d’Orléans en routait 1.500. On vit des agents de chemins de fer asurer leur service pendant 40 à 45 heures d’affilée, sans quitter leur machine, leur fourgon ou leur poste d’aiguillage. Chacun, du plus grand chef au plus modeste cheminot, avait fait tout son devoir. Et l’on peut porter le même jugement sur l’effort qui vient d’être accompli. Hier aussi bien qu’aujourd’hui il a’était pas simple de le faire. La mobilisation et la concentration des armées imposent l’utilisation immédiate de tous les moyens de transport. En ce qui concerne les chemins de fer, la complexité de la tâche est inhérente au pasage immédiat de paix à celle de l’état de guerre. -B faut, au sein d’organismes mixtes, comprenant d’une part les représentants de l’autorité militaire qui dictent les ordres du commandement de l’armée, de l’autre les représentants de la S. N. F. C. qui ont la technique de l’exécution des décisions prises, agir avec rapidité et netteté. Or, il ne s’agit pas d’une simple adaptation, mais d’une innovation constante. Telle ligne principale, sur laquelle en temps normal circulent des rapides à très faible intervalle, sera délaissée, tandis qu’une artère transversale, parcourue en temps de paix par quatre trains journaliers, doit en acheminer dix fois plus. Le ministre des travaux publics, bien placé pour connaître les difficultés d’exécution de ce dur labeur, en a rappelé quelques résultats. Nous pouvons indiquer que, lors de la concentration des armées, le trafic du chemin de fer fut de beaucoup supérieur aux périodes les plus intenses du service commercial. Le parcours journalier de l’ensemble des trains a dépassé le triple du parcours normal des trains de marchandises. Certaines sections de lignes à double voie ont vu se succéder, au cours d’une période de 24 heures, 150 trains dans chaque sens, au lieu de 90 en temps ordinaire; sur d’autres voies la circulation est passée de 30 à 100 trains par jour. Un très grand nombre de locomotives, inutilisées en temps de paix mais entretenues en état de marche ont été mises en circulation et -iont venues renforcer l’effectif des machinas en service. ; La mobilisation et la concentration des troupes furent effectuées dans d’excellentes conditions de souplesse et de régularité. Pendant la même période, des évacuations de populations civiles étaient faites vers l’intérieur et nécessitaient, en particulier, 1.500 trains en provenance des département frontières. Nos adversaires estimaient qu’en cas de conflit leur aviation désorganiserait les chemins de fer français et rendrait la mobilisation impossible. Or il n’est point discutable que le fonctionnement régulier, rapide, des chemins de fer a permis d’opérer en peu de temps la concentration d’effect'fs très importants et le transport d'un matériel considérable. L’unité de décisions a obtenu dans les chemins de fer des résultats qu’on serait heureux de constater dans d’autres nilieux qui doivent assurer la fabrication de munitions et d’objets nécessaires aux armées. L’on doit aussi retenir l’envergu. re des préoccupations des dirigeants de la Société nationale. A peine les transports militaires et les évacuations des populations de la frontière étaient-ils assurés qu’ils montraient une ferme volonté de rétablir les transports de marchandises et de personnes afin de limiter au strict minimum les restrictions qu’ils étaient contraints d’apporter aux transports commerciaux. D’abord tous les (Saits page 3) UN PROBLÈME CARPINAI Comment ont été effectués LES TRANSPORTS PENDANT LES PREMIERS DEUX MOIS DE GUERRE = Le rôle de l’aviation = Dans nn article paru dimanche dernier dans l’OBSERVER, le réputé journaliste anglais, Garvin, demande au gouvernement britannique et à l’Angleterre la domination de l’air parce que — déclaret-il — seule la suprématie aérienne décisive des alliés pourrait faire que la guerre, au lieu de durer trois ans, dure seulement six mois. Voilà donc à nouveau livré à la discussion publique le rôle de l’aviation. Pendant plus de dix ans on a discuté sur les diverses formes d’utilisation de l’aviation militaire. Les partisans les plus convaincus de l’arme nouvelle n’ont pas hésité à prétendre que le résultat d une guerre éventuelle pouvait ne dépendre que de l’aviation seule. Une intervention aérienne soudaine et très brutale dans ses effets était capable, pensaient-ils, d’emporter une décision/ Cette théorie fut naturellement aussi violemment combattue que chaudement défendue. Comme toujours, la vérité siège cette fois encore au milieu. Un ancien ministre de l’Air écrivait au debut du mois dernier dans une revue aéronautique. „On a trop souvent une tendance erronée à penser qu’aviation offensive se doit exclusivement traduire „opérations indépendantes de l’arme aérienne autonome”. Ce sont là théories d’école. Il n’y a pas trois guerres; U n’y en a qu’une. „La coopération de l’aviation avec les autres armes, elle, ne doit pas être réduite; ses emplois au contraire se multiplient. Elle ne se borne plus à observer, à reconnaître, à régler le tir; elle accomplit des missions offensives en liaison étroite avec les opérations terrestres; elle livre l’assaut en liaison avec les tanks, avec les colonnes d’infanterie; elle attaque en vol rasant, par le bombardePendant plus de dix ans on a discuté sur les diverses formes d'utilisation de l'aviation militaire. Les partisans les plus convaincus de l'arme nouvelle n'ont pas hésité à prétendre que le résultat d'une guerre éventuelle pouvait ne dépendre que de l'aviation seule. Une intervention aérienne soudaine et très brutale dans ses effets était capable, pensaient-ils, d'emporter une décision ! Cette théorie fut naîurellement aussi violemment combattue que chaudement défendue. Comme toujours, la vérité siège cette fois encore au milieu. —1 — —. ment en piqué, les formations ennemies, les harcèle, les disloque, les coupe d'avec leurs communications; elle bombarde leurs arrières. La puissance de feu de l’aviation d’assaut, le tonnage, le rayon d’action, la vitesse de l’aviation offensive de bombardement leur permettent de prolonger et de compléter l’action nécessaire de l’aviation défensive d’interception et de chasse dont l’armement peut faire merveille, certes, mais dont l’autonomie de vol demeure très limitée”. Cette notion de l’aviation de „coopération” correspond en tous points à ce qui est devenu depuis le 1-er septembre, une réalité* Sur le front français, par exemple, l’avance des colonnes motorisées a été préparée, appuyée et défendue par les offensives aériennes. Mais si cette tactique a réussi aux Allemands — très supérieurs en nombre — à l’Est, elle a vain, par contre, aux Français, l’avantage à l’Ouest. C’est que, le matériel français est admirablement approprié à ce genre de mission. La grande puissance de feu des nouveaux appareils français — certains sont équipés de deux canons — rendent leur intervention très efficace. Il ne faut pas imaginer cependant que l’aviation limitera toujours son action aux zones de combat. L’Allemagne a formé de nombreuses escadres de gros bombardements. C’est même à la création de ces escadres qu’elle a longtemps donné tous ses soins, dès avant l’avènement du chancelier Hitler, dès avant même la période avouée de réarmement. C’est le Reich qui a possédé, le premier en Europe, le réseau d’aviation commerciale le plus dense. Ce réseau était, dès 1930, très supérieur aux besoins de la circulation aérienne. De nombreux équipages furent ainsi formés, qui connaissent les routes de Paris et de Londres. Il serait bien surprenant que le commandement suprême de Par* mée allemande renonce à user de cette arme qu’il a déjà brandie. C’est ce qui a déterminé d’ailleurs M. Garvin de donner l’alerte dans (’OBSERVER et de demander au gouvernement britannique de pourvoir à l’outillage rapide et excellent des ailes anglaises pour cette seconde forme de la guerre aérienne. La guerre de 1939 aura posé pour la première lois dans toute son ampleur le problème organique de la mise sur pied de guerre d’une grande nation moderne. a a a La guerre précédente avait fait ses débuts sous le signe de l’improvisation. Presque toutes les décisions des premières heures lurent prises sous l’impérieuse poussée des événements. On pourrait dire que la guerre de 1914 a été en quelque sorte préparée pendant la guerre. Aussi le cours des opérations du début s’en est-il gravement ressenti. Le spectacle auquel nous avons assisté dès le 2 septembre de cette année, nous a donné en revanche une idée des progrès accomplis dans la mobilisation de la force française. D’abord, en ce qui concerne l’appel des hommes sous les drapeaux. En 1914 — nous disent les experts militaires — une application rigoureuse du principe d’égalité en matière d’obligations militaires exigeait qu’aucun homme ne pût être rappelé sans la proclamation d’ordre de mobilisation générale et que tous les hommes le fussent simultanément. L’effet en fut: un désordre général, un embouteillage terrible. Les dispositions prises en ce qui concerne le ravitaillement en armes et en munitions se révélaient insuffisantes Les dotations fixées étaient trop faibles. L’exactitude et la minutie des prévisions se trouvaient mises en défaut. Parmi les sources de ce mal était également le fait que la majorité croyait — Briand même en faisait partie — que la guerre ne pourra pas se prolonger \ au delà de quelques semaines, tout au plus quelques mois. Ainsi, le armées d’opérations furent-elles rapidement arrêtées dans leur élan et leur activité dynamique. Cette fois, la mobilisation se fit d’après un plan systématique et réglé chronométriquement. Le rapr pel des hommes s’effectua progressivement La couverture, si essentielle lorsqu’il s’agit de mettre les frontières à l’abri d’une attaque brusquée, s’est déroulée à la façon d’un organisme autonome, distinct jusqu’à l’achèvement de la concentration des troupes de campagne proprement dites. Ainsi se fit-il que lés multiples opérations de la mise sur pied des forces armées furent exécutées avec ordre, méthode et de manière progressive. C’est ce qui explique, par ailleurs, pourquoi de la mobilisation la proclamation générale n’a plus produit, comme en 1914, cet arrêt subit de la vie normale de tout un peuple, ce passage instantané de l’état de paix à l’état de guerre, dont les générations d’alors ont gardé jusqu’à ce jour l’impressionnant et pathétique souvenir. La mobilisation, cette fois, rfa créé ni affollement, ni incertitude Au contraire. Elle a provoqué jusqu’au fond des campagnes les plus reculées un sentiment de sê. curité et partant, un profond sentiment de confiance. Mais la mobilisation, telle qu'elle a été réalisée cette fois, en France, a encore une caractéristique: c’est que, pour la première fois, on aura procédé à la levée non seulement des forces armées, mais à celle de la nation elle-même. C’est de quoi nous nous occuperons dans la prochaine lettre. ALFRED HFETER Paris, le 16 octobre 1939 (V) L’ANNIVERSAIRE DE LA RÉPUBLIQUE TURQUE A L’AMBASSADE DE TURQUIE A BUCAREST De gauche à droite: M M. Adrien Thierry, ambassadeur de France Grégoire Gafenco. mini», tre des Affaires Etrangères, le baron Flondor, maréchal de la Cour et l’ambassadeur G. Grigorcea, 1 M. PAUL REYNAUD ministre des Finances a fait hier les honneurs de Paris aux délégués anglais du groupe parlementaire franco-britannique venus en France chargés d’une importante mission. Théâtre de la Ligue Culturelle LE VAGABOND pièce en trois actes de M. NICOLAS IORGA „Les pièces,— a écrit le prof. Nicolas Iorga, — peuvent manquer de sens, le théâtre dans toute sa compréhension doit en avoir un. Et s’il arrive que le théâtre luimême manque de sens, il faut regretter le temps perdu, l’argent dépensé qu’une société entière gaspille, alors, pour le théâtre” — („Le sens» du théâtre” par N. Iorga). Monsieur Nicolas Iorga fondateur et animateur de la scène „Ligue Culturelle” est hautement indiqué pour nous parler du théâtre, sa clairvoyance d’homme de lettres, d’historien et d‘auteur dramatique est u-ne de nos gloires nationales et le jeune mouvement auquel il donna vie a un répertoire des plus choisis. Il rappelle en quelque sorte un mouvement du même genre qui, audelà de nos frontières commença son activité dans une baraque de piachetes, pour changer la notion même du théâtre de l’après guerre. Il s’agit du Vieux-Colombier de Paris et de son idmirable zélateur, M. Jacques Copeau. C’est dommage, qu’à Bucarest nous manquions de gens de théâtre connaissant à fond leur métier, pour qu'ils puissent former parmi les jeunes espoirs de notre art dramatique des éléments de la valeur d’un Jouvet, d’une Valentine Tessier qui débutèrent sur les planches du Vieux Colombier. Sans douter des qualités de M. Nicolas Massim, il faut avouer que les résultats obtenus avec beaucoup de peine, pour la mise en scène de la nouvelle pièce de M. Nicolas Iorga, ne sont pas brillants. Mme Telly Barbu, dont le rôle est d’ailleurs ingrat, a honte de regarder le public en face, et l’on ne saurait dire si c’est par timidité ou par peur du ridicule; quant à Mme Eugénie Voinesco, sa scène de charme était d’une gaucherie si parfaite et d’une réalisation si pitoyable que l’on pouvait se croire à une représentation d’amateurs. Mme Nella Mircesco avait un rôle en or, dont elle n’a su tuer que d’infimes avantages et s'il faut respecter la personnalité de Mme Getta Popa, il faut dire aussi que son apparition ne présentait aucune difficulté, puisqu’elle pouvait user de toutes les ficelles mélodramatiques. Que dire de M. Dórin Sireteanu ? Il vaudrait mieux ne pas en parler, cependant son attitude de „vrai de vrai” de la rue Lappe, tellement déplacée dans la pièce de M. Nicolas Iorga. oblige à remarquer qu’un vagabond avide d’aventures n’est pas forcément un mauvais garçon et qu’il na suffit pas d’allumer et d’éteindre des cigarettes sans nombre pour faire oublier au public qu’il se trouve au théâtre, que les gestes sont inutiles et qu’ils ne peuvent remplir un rôle. ANA-MARIA TUDURY , (Suite page 3) I