Nouvelle Revue de Hongrie 51. (1934)

Décembre - Maurice Jókai par Aladár Schöpflin

Maurice Jókai (1825—1904) Par ALADÁR SCHÖPFLIN V OILÀ BIEN trente ans que Maurice Jókai est mort et il reste, pourtant, le romancier hongrois le plus populaire. Ses livres, dont le nombre ne le cède guère à celui des volumes de Dumas père, continuent de connaître un très fort tirage. La jeunesse, surtout, ne peut s’en lasser. Cette popularité qui dure depuis trois générations est un des phénomènes les plus intéressants de la vie littéraire en Hon­­grie. Pendant ces trois générations, le sort de la Hongrie et de la nation hongroise a subi de très grands changements. L’activité de Jókai commence à la veille de la guerre d’indépendance contre l’Autriche (1848—49). A ce grand mouvement national succéda la catastrophe, la lutte de la Hongrie pour sa liberté se termina par une défaite. Vint une période d’absolutisme qui, au bout de quinze ans, aboutit en 1867 au Compromis avec les Habsbourg. Ce qui en résulta, ce fut pour le pays une évolution à peine espérée dans tous les domaines, le déve­loppement extraordinaire de Budapest qui, de petite ville inconnue, devint une métropole, la transformation complète des conditions sociales et intellectuelles. Puis une guerre perdue mit fin à cet essor et amena le démembrement du pays millénaire. Le prestige de Jókai, toutefois, a été assez fort pour résister à tous ces changements. Il n’a pas eu à souffrir non plus des transformations des courants et du goût littéraires, à partir du romantisme du milieu du siècle passé jusqu’à l’attitude spirituelle de nos jours. Pour comprendre cette popularité pour ainsi dire inébranlable il ne suffit pas de savoir que Jókai fut réellement un romancier brillant: des raisons particulières devaient y concourir. Il y a tout d’abord la personnalité même de Jókai, séduisante et attrayante, telle qu’elle se reflète dans ses œuvres. On retrouve en lui la naïveté et le charme d’un enfant qui adopte à ses rêves l’image de la réalité, élève tout au niveau de ses belles illusions, se réjouit de la beauté de l’existence et sait recouvrir tout ce qui est amer et sombre des nuages colorés de l’humour. Il crée un monde de rêve où l’âme exténuée par les mille soucis et tracas de la vie journalière se récrée et se trouve à l’aise. Néanmoins ce règne de l’illusion n’est pas dépourvu de tout élément réel. Loin d’être un monde de songes vains, c’est une image de la vie semblable à la réalité, regardée à travers un tempérament enclin aux illusions. C’est ce mélange romantique du réel et du fan­tastique qui constitue un des charmes de l’art de Jókai et lui confère

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