Nouvelle Revue de Hongrie 63. (1940)

Novembre - Maurice Jókai par Sándor Hegedüs

Nov. HEGEDŰS : MAURICE JÓKAI 413 Hongrois du général Görgey déposèrent les armes. J’ai pris part aux périlleuses conspirations d’une nation opprimée et, après le Compromis de 1867, lorsque François-Joseph se fit couronner roi de Hongrie, je fus l’objet de ses plus grandes faveurs. J’ai été pauvre et réduit à donner des leçons de hongrois pour la somme dérisoire de 2 florins par mois. J’ai subi tous les coups du 6ort et joui de toutes ses grâces. J’ai eu au cou la corde du bourreau lorsqu’après la Révolution je fus condamné à mort, et le grand cordon d’un ordre que le roi m’a décerné. La liqueur dorée du triomphe m’a été versée tout comme l’eau fétide de la calomnie. J’ai été aimé et haï comme personne ne le fut jamais. C’est pourquoi les péripéties de ma vie doivent se réfléter dans mes œuvres. » Il se définit fort bien lui-même. C’est par sa propre vie et par celle de son pays qu’on peut le mieux saisir le genre qu’il a créé sur le modèle de l’Occident avec toute l’imagination de l’Orient. Toutes ses œuvres ont leurs racines dans la nation hongroise, soit dans l’histoire, soit dans les coutumes populaires. Il par­courait sans cesse le pays et chacun, paysan, noble ou bourgeois, lui racontait ses souvenirs, lui contait des anecdotes, des histoires locales qu’il éclairait de sa fan­taisie. Il avouait fièrement ne pas travailler seul, mais avec l’aide de toute la nation. Depuis les savants qui lui signalaient des souvenirs historiques, jusqu’aux acteurs dont les attitudes l’inspiraient, tout collaborait à son œuvre, lui fournissait à l’envi les données dont il se servait. Cette collaboration ressemble aux compositions du grand musicien hongrois, François Liszt qui puisait ses motifs dans les chansons populaires hongroises dont la mélodie l’avait frappé. Jókai était très fier de sa bibliothèque qui se composait des diverses éditions de ses propres ouvrages. Si nous considérons qu’il a écrit 350 volumes traduits en 27 langues et en de nombreuses éditions, nous pourrons nous imaginer l’étendue de cette bibliothèque consacrée à un seul auteur: Maurice Jókai. Cette bibliothèque n’était autre que le récit de l’histoire hongroise depuis l’époque païenne jusqu’à la Révolution de 1848, en passant par les Zrínyi, par Rákóczi et Marie-Thérèse, car son imagination courait des Carpathes à la Transylvanie, à travers la terre sicule, la côte hongroise, les plaines, les marais, les villes, jusqu’aux mines profondes, à une île déserte dans le Danube. Puis ses récits nous font parcourir l’Orient, nous transportent en Amérique, dans l’Egypte ancienne et moderne, dans la Rome des Césars, à Paris, à Londres, à Saint-Pétersbourg, en Sibérie, enfin à Stamboul d’où il rapporte le conte oriental avec toute la riche fantaisie dont il a paré ses œuvres. Outre ces régions terrestres, il s’envole au-dessus de notre atmosphère, plonge dans les villes submergées de l’océan, parcourt les pôles et rêve la légende des siècles futurs. C’est surtout l’admirable description d’une île déserte du bas-Danube, où se déroulent les scènes principales d’un de ses plus beaux romans: L'Homme d'Or, qui peut donner une idée de la richesse de son imagination, de la perfection de son talent narratif, comme de la délicatesse de son âme. Il ne connaissait cette contrée que par les descriptions qu’il avait lues et pourtant il en fit un récit merveilleux qui ravit tous ses lecteurs. Plus tard il alla visiter ces lieux qu’il avait évoqués sans les connaître et il en donna une nouvelle description qui n’est cependant ni si belle ni si parfaite que la première, entièrement imaginaire. La légende paraît avoir raison: une fée inspire Jókai qui n’a pas besoin de voir la réalité pour la décrire, mais dont l’imagination supplée à tout. Quand on lui demandait com­ 4*

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