Nouvelle Revue de Hongrie 63. (1940)

Novembre - Maurice Jókai par Sándor Hegedüs

Maurice Jókai Par SÁNDOR HEGEDŰS E N 1848 Maurice Jókai, le grand maître du romantisme, avait 23 ans et le jour même de la Révolution, lorsque la nation revendiqua ses droits, il r se fiança à la plus grande tragédienne de la scène hongroise, Rose Labor­­falvy. Puis deux années orageuses passent sur la Hongrie, la Révolution est vaincue, Kossuth banni s’expatrie, Petőfi tombe au champ d’honneur et Jókai reste en Hongrie, se cache pour veiller au chevet de la patrie blessée et la bercer de ses récits. On dit qu’un jour la reine d’Angleterre alla voir Dickens malade et lui dit: «Si vous n’étiez pas Dickens lui-même, je vous dirais de le lire, cela vous guérirait.» C’est ce que fit la nation hongroise en lisant Jókai, lorsque vaincue, privée de ses droits, elle dut subir le joug de l’absolutisme autrichien. Jókai contait, la nation lisait et guérit peu à peu. A cette époque, Jókai fut le magicien guérisseur qui versa sur les douloureuses blessures de sa patrie le baume bienfaisant de ses écrits. C’est ce qui explique l’efFet de ses œuvres sur les Hongrois. Des générations s’en sont nourries et y ont puisé leur patriotisme, car aucun des événements de l’histoire hongroise, depuis les légendes des temps les plus reculés jusqu’aux événements les plus récents, n’a échappé à sa plume féconde. C’est sous la forme de romans qu’il présenta au public l’histoire de son pays, de sorte que les principales figures de notre passé ainsi que ses mouvements se déroulent devant nous dans ses livres. Jókai naquit à Komárom, ville bâtie à l’extrémité d’une grande île, le Csalló­köz, formée par le cours capricieux de deux bras du Danube. Les murs de sa maison natale étaient imprégnés de grands souvenirs, ce qui la rendait mysté­rieuse. Toutes ses fenêtres donnaient sur la cour, car au temps des guerres de religion c’est là que les protestants célébraient le service divin. Maurice Jókai naquit donc le 18 février 1825 de parents protestants. Lors­qu’au printemps on sortit son berceau au soleil, l’enfant se prit à rire, car dans un rayon d’or, à travers les charmilles, une fée descendait vers lui: l’Imagination. Un esthéticien hongrois a écrit que la fée fit un don à l’enfant en lui disant: Tu sentiras mieux et plus profondément que les autres tout ce qu’on peut sentir, tout ce qui fait battre les cœurs. Puis elle lui souffla sur les yeux afin qu’il vît dans le passé, à travers les cœurs et les obstacles; enfin elle lui baisa les lèvres pour que ses paroles fussent aussi douces que le miel. Et en vérité le sort décide parfois de la vie des grands hommes de façon si merveilleuse qu’il semble que des fées s’en mêlent. Rien ne fut plus merveilleux que la carrière de Jókai. A trois ans, l’enfant couvre le parquet de dessins fantas­tiques tracés à la craie, représentant des animaux étranges qui ne vivaient sans doute que dans son imagination. Là aussi une fée semble lui tenir la main. Plus tard, sur les bancs de l’école, il se destine à la peinture, comme son bon ami Orlay. A la même époque, Petőfi rêve de se faire acteur. Cependant le sort, ou la fée 4" 4

Next