Revue d'histoire comparée 24. (1946)

1946 / 1-2. szám - Comptes rendus critiques

124 COMPTES RENDUS maine, mais sous une forme et en un sens différents de la « cons­cience nationale » qui se manifeste aujourd’hui. C’est en vain qu’on chercherait les traces du sentiment national moderne dans la mentalité de l’homme historique. L’idée que se fait de la nation notre époque de même que les conceptions des âges passés ne sont que les étapes d’une longue évolution. Aucune d’elles ne saurait prétendre à l’éternité. La «nation », telle que nous la concevons aujourd’hui, n’est plus l’obligation morale absolue qu’elle était jadis, aussi ne saurions-nous"juger du passé d’après le présent, de même que l’avenir ne saurait juger de nous à la mesure de l’heure. Devant cette effrayante relativité, l’homme formé par ces dernières dizaines d’années et qui réagit douloureusement contre toute atteinte portée à son sentiment ou à ses intérêts natio­naux, demeure interdit, consterné. Il fallait être téméraire pour parler ainsi jusqu’à présent. Mais à l’heure qu’il est, au terme d’une catastrophe mondiale, la constatation objective de cette relativité réconforte et encourage ; elle ouvre la voie à de nou­velles solutions. La nation, telle qu’elle se présentait jusqu’ici à nos yeux, était devenue un danger, une souffrance perpé­tuelle pour l’humanité. Tout ce qu’elle renfermait de joie même, de bonne volonté et d’énergie, avait entraîné la société, par­tout dans le monde, vers un égoïsme implacable et des ob­jectifs inhumains. Il n’en avait pas toujours été ainsi, bien que la nation, sous une forme ou sous une autre, ait toujours existé. Ce qu’il y avait de commun, d’éternel, de propice, de fertile au tréfonds des changements historiques, c’était la na­tion soumise au service de l’humain. Toute autre substance et toute autre forme n’étaient que des égarements. Et voici com­ment s’exprime l’idée dominante des études de M. Szekfû dans la langue plus sèche de la sociologie : la « nation » n’est pas un idéal éternel, une substance spirituelle qui régnerait inexo­­rablemént sur une société qui lui est soumise. Non seulement il n’y a pas d’idéals coercitifs ; mais, en réalité, la nation elle­­même n’existe pas, pas plus que la société n’existe au sens sub­stantiel du mot. Il n’existe que des hommes et des relations entre hommes. Ce sont les méthodes intimes de la vie en com­mun, du contact de la société, de l’expression, de la collabora­tion qui ont réuni les hommes en nations. Et ce n’est que par le temps qui court que d’aucuns se sont avisés de délimiter la nation, de lui imposer un cadre précis et rationnel, de lui sub­stituer en quelque sorte l’État (nation-État). Une nation vi­vant substantiellement, ayant sa fin en elle-même et mue par un orgueil inflexible, a pris la place des méthodes qui coor­donnaient la vie des hommes et servaient d’intermédiaires entre les profondeurs de celle-ci.

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