Revue d'histoire comparée 24. (1946)
1946 / 1-2. szám - Comptes rendus critiques
ÉTAT ET NATION 125 Entre les trois études de M. Szekfű, celle qui retrace l’histoire des nationalités en Hongrie se distingue par la profondeur de son contenu. L’étude soulève dès le début un problème tout à fait particulier dans l’évolution des nations européennes : comment se comporte une société formée dans un milieu à demi-nomade et qui ne fait que d’arriver sur le sol européen — entendez : le peuple hongrois — envers les nationalités qu’il trouve sur son territoire ou qui viendront s’y établir plus tard? Les « États » de la société nomade se souciaient peu — dit M. Szekfű —- de l’unité raciale et linguistique ; ce qu’ils appelaient ainsi n’était que la coalition de tribus souvent très hétérogènes. En Occident, par contre, la société était composée de petits groupes autonomes intimement unis. Les Hongrois arrivant à la fin du IXe siècle dans leur demeure actuelle, assuraient à ceux de leurs alliés qui s’établissaient avec eux une autonomie de genre occidental. Les rares établissements slaves qu’ils trouvèrent dispersés sur leur nouveau territoire furent bientôt absorbés, de même que les éléments de certains peuples alliés, Petchénègues, Coumans et autres, dont les mœurs identiques à celles des Hongrois avaient facilité l’assimilation ; d’autres minorités, par contre, conservèrent leur autonomie jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il en fut ainsi pour les colons postérieurement établis, les Roumains, par exemple, qui, venus en foule et établis sur un territoire contigu ou dans une ville bénéficièrent d’un organisme autonome et purent conserver librement leur langue et leurs coutumes. Un désintéressement et une tolérance extrêmes dans la question des nationalités : voilà ce qui caractérise non seulement le moyen âge, mais encore une grande partie de l’âge moderne : Szekfű affirme que cette modération est un trait de caractère fondamental de l’État hongrois, le résultat de la synthèse des antécédents orientaux et des influences occidentales. Le ton sur lequel les écrivains occidentaux parlaient dès le moyen âge des peuples étrangers est certainement beaucoup plus haineux que celui des chroniqueurs magyars. Les sources hongroises ne montrent aucune trace d’hostilité contre les minorités. Il est vrai que le chiffre de leur population s’élevait à peine à 20 p. c. de la population totale à la fin du moyen âge. Cette manière souple et pacifique de traiter les nationalités n’a cessé d’être un trait fondamental de la politique hongroise jusqu’aux temps modernes. Mais les proportions énormes des derniers établissements des minorités nationales ont donné à la question une importance et une délicatesse qu’elle ne connaît pas en Occident ; tout dernièrement, le problème prit une tournure aiguë. L’époque seigneuriale fait naître en Hongrie une classe noble bien plus nombreuse qu’en Occident. Cette noblesse ad