Le Moment, Octobre 1939 (Année 7, no. 1375-1399)

1939-10-14 / no. 1386

L’ATTITUDE DE LA TURQUIE Par la volonté de K e m a 1 Atatürk, du Grand Ghazi, la Tur­quie est devenue après 1920, d’asiatique — tomme le voulait Metternich — un pays européen cent pour cent. En tant que pays européen, son attitude à l’égard des belligérants mêlés dans l’actuel conflit d’Euro­pe et en général, sa position dans la situation internationale créée par la tension survenue à la fin du mois d’août, intéressaient au plus haut point et pour plusieurs rai­sons.. On savait — il est vrai — que la Turquie avait signé il y a quel-pies mois des pactes d’assistance nutuelle avec la France et T An­gleterre. On savait aussi que des nissions militaires turques avaient îté à Paris et à Londres, en vue le mettre sur pied les détails d’une alliance militaire avec la France et .’Angleterre. On savait également ju’une mission militaire britanni­que, sous la direction du vice-ami­ral Cunningham avait été à Istan­bul et qu’une mission militaire française dont le chef était le gé­néral Hutzingher avait été à An­kara. Mais on savait, en. même temps, que depuis mai 1920, la Turquie avait conclu un traité d’amitié avec l’U.R.S.S., complété en octobre par un traité similaire avec le Caucase et en 1922, avec l’Ukraine et que depuis lors les relations les plus cordiales s’étaierit établies entre les deux voisins. On savait, enfin, que peu avant signature du pacte de non agres­la sion russo-allemand, M. Potem­­kine, vice-commissaire du peuple aux affaires étrangères, avait été en visite officielle à Ankara et qu’en partant, il avait donné l’ac­colade à M. Saradjoglou, ministre des affaires étrangères, sur le quai de la gare. Il est maintenant explicable pourquoi les milieux diplomatiques étaient si impatients d’apprendre après le 24 août quelle attitude a­­dopterait la Turquie. Des informations, — V®/ corne c’est la coutume en X#\, pareil cas — de deux-trois lignes annonçaient que M. Rustu Arras, ancien ministre des affaires étrangères de Turquie et actuellement ambassadeur de son pays à Londres avait quitte la ca­pitale anglaise pour se rendre en avion à Ankara. On annonçait aussi que l’Ambassadeur de Tur­quie avait été reçu à plusieurs re­prises par MM. Daladier et Bon­net. On annonçait ensuite que M. von Pappen, ambassadeur du Reich à Ankara et qui se trouvait à Berlin avait regagné, en avion, son poste. On annonçait des con­seils des ministres à la Rea,dence d’été de M. Ismét Inonou, prési­dent de la République turque. On annonçait deux messages, Tun du Roi d’Angleterre et l’autre du Pré­sident de la République française adressés tous les deux, en signe d’amitié, au successeur d’Ataturk. Mais aucune déclaration officielle ne fut faite, sauf celle du 5 septem­bre, annonçant pour le 11 septem­bre la convocation de la Grande Assemblée Nationale, qui représen­tant la nation turque et concen­trant tous les pouvoirs législatifs et exécutifs, est l’organe souverain de la jeune République. Cette grande Assemblée Natio­nale s’est, en effet, réunie lundi et a écouté le Président du Conseil, le dr. Refik Saydam faire un ex­posé sur la situation internatio­nale. I Nous avons sous les I yeux le résumé de cet ex­­posé, tel qu’il a été trans­mis par l’Agence télégra­phique Turque et communiqué à nos journaux par l’Agence Rador. Voici ce que nous y lisons : „La politique extérieure de la République turque, — a déclaré M. Refik Saydam — garde, au milieu des événements importants de ces derniers temps, la même orienta­tion”. C’est la première déclaration of­ficielle faite quand à la politique extérieure turque, après la conclu­sion du pacte de non agression russo-allemand et après le déclen­chement du conflit germano-polo­nais et anglo-franco-allemand. Le Président du Conseil a ajou­té: „Nos relations avec les Etats belligérants sont normales et con­formes aux conventions interna­tionales: entre l’Allemagne et nous, il n’existe directement aucun objet de divergence politique, avec la Pologne, nos relations ont pres­que toujours été sans embûches et amicales”. „Avec l’Angleterre et la France, nous avons, sur les bases précis­­sées que vous connaissez, une communauté d’intérêt et des con­ceptions communes. Les conversa­tions sur les traités définitifs, qui forment l’objet des pourparlers déjà commencés, continuent dans une atmosphère des plus amica­les”. En évoquant les relations avec les Soviets, le dr. Refik Saydam a souligné qu’„elles sont et reste­ront amicales, sans qu’elles modi­fient les rapports et les liens ac­tuels”. Ce maigre résumé suf- Va fit pour déduire que dans l’attitude diplomatique de la Turquie, il n’y a rien de chan­gé. Une déclaration de plus. C’est tout. Les négociations commencées à Paris et à Londres, après la sig­nature des pactes d’assistance mu­tuelle, en vue de la conclusion de véritables traités d’alliance, conti­nuent. Les rapports de la Turquie avec les autres Etats restent ce qu’ils étaient avant le conflit, puis­que l’orientation de sa politique extérieure reste, elle aussi, la même qu’auparavant c’est à dire telle qu’elle a été fixée par Kemal Atatürk, dont M. Ismét Inonou est non seulement le successeur mais aussi le continuateur. La déclaration du Président du conseil turc présente surtout de l’importance pour l’Egypte et l’Irak, pays musulmans qui ont fixé leur attitude avant que Turquie ne fasse connaître la sien­la ne. Elle présente également de l’importance pour l’Iran et l’Afgha­nistan qui se sont déclarés neutres. Et elle présente, enfin, de l’impor­tance pour la Bulgarie qui n’a pas encore fait jusqu’ici de déclaration officielle concernant l’attitude qu’elle a adoptée, mais tout porte à croire à sa neutralité. M. ISMÉT INONU Président de la République Tur­que. I Berne, septembre 1939 Lorsqu’on parle du système for­tifié allemand, on entend toujours les fortifications de l’Ouest. Il est vrai que ce sont les seules sur les­quelles la presse allemande ait donné quelques renseignements. Quand la Sarre fut réoccupée par l’Allemagne et la zone rhénane remilitarisée, la ligne Hindenburg, qui remonte à 1933, perdit sa rai­son d’être. Il fut décidé de con­struire des fortifications sur le Rhin même. En 1937, les Alle­mands commencèrent à édifier des fortifications en béton armé le long de la frontière française. Au mois de juin 1938, la création de la ligne Siegfried fut annoncée offi­ciellement. Cette ligne, d’une longueur de 400 kilomètres, part du lac de Con­stance à son extrémité est, épouse le cours du Rhin, qu’elle quitte à la hauteur de Karlsruhe avec la frontière française. Elle suit, à une certaine distance, cette frontière, puis les frontières luxembourgeoi­se et belge. Elle s’arrête à peu près à l’endroit où la frontière hollan­daise coupe le Rhin. La profondeur de cette zone for­tifiée va de 50 à 60 kilomètres. Elle comprend trois, parfois qua­tre lignes, que l’ennemi devrait enlever successivement. 360.000 ouvriers, 100.000 hommes du ser­vice du travail, des bataillons du génie, des divisions d’infanterie ont travaillé à ces ouvrages. Rien n’a été négligé pour les mettre à l’abri de la bombe et des gaz. La construction fut dirigée par treize états-majors. Fin 1938, on mentionnait un millier d’ouvra­ges bétonnés. II y en a aujourd’hui davantage. On compte, en moyen­ne, sur un kilomètre de front, trente ouvrages de mitrailleuses ou d’artillerie. 4 !• ’< „Le Moment" offre •’ aujourd'hui à ses lecteurs •’ l'article d'un grand spé- *’ cialiste militaire suisse, le 'I colonel divisionnaire Gros­­selin qui y examine les ca­­ractéristiques de la gran- ’’ de ligne de fortifications allemandes, la ligne Sieg­­fried. Dans un prochain '* article notre éminent col- 1 laborateur s'occupera de ’ | la ligne Maginot, i ^ <1 l> E s’agit là d’abris, de tranchées ou retranchements bétonnés, de redoutes, d’emplacements de tir bétonnés destinés à des mitrailleu­ses, à des fusils-mitrailleurs, à des lance-mines, à des canons et des mortiers. Ce sont des places d’ar­mes où se réunissent, en attente, les subdivisions, des observatoires d’artillerie et de commandants. Ou­vrages de grandeur et d’impor­tance diverses, qui se confondent avec le terrain. Le tout, sur une profondeur ap­proximative de 10 km. pour cha­que ligne, relié par des poternes souterrains ou des boyaux. Ces lignes sont précédées d’ob­stacles antichars formés de bor­nes en béton armé et de fossés remplis d’eau. Derière des réséaux barbelés d’environ 400 m. de pro­fondeur, des nids de mitrailleuses, des emplacements en béton pour l’artillerie antichars. Une deuxième ligne, parallèle, semble répéter la première ; elle est renforcée par des ouvrages souterrains de deux à trois étages, des coupoles blin­dées abritant de l’artillerie (gros calibres compris), et des mitrail­leuses ; ces ouvrages forment des groupes unitaires, capables de ré­sister indépendamment, et pins longtemps que le reste de la ligne. La première ligne commence à 1 ou 2 km. de la frontière. Le système) dont les ouvrages peuvent aller jusqu’à plus de 17 mètres dans la terre ou le rocher, est renforcé par les obstacles na­turels, le Rhin, les rives de la Sar­re, la région montagneuse et boi­sée du Palatinat. Les nombreux points d’appui blindés et bétonnés sont reliés entre eux par un réseau de câbles téléphoniques et de for­ce électrique; ces câbles, longs de plusieurs milliers de kilomètres, sont à l’épreuve du bombardement. Les installations intérieures des casemates répondent aux dernières exigences du confort et de l’hygiè­ne. L’approvisionnement en eau, en vivres, en munitions, serait assuré par des moyens très étudiés. Le long de la frontière belge, les lignes de barbelés cachant des pièges antichars s’étendent sur une profondeur de 25 à 30 km.; cer­taines rangées atteignent une lon­gueur Ininterrompue de 4 km. Parfois, ces réseaux sont électri­fiés. L’entrée des forts et des pla­tes-formes de tir des gros calibres est, comme tout le reste, camouf­lée, par exemple, par des villas modernes, des bosquets. Sur la seule ligne du Rhin, les lignes com­portent plusieurs centains de for­tins semblables aux nôtres dans le Jura. Voilà donc esquissée la concep­tion moderne de la fortification permanente, en ligne continue, se­lon la conception allemande. Colonel GROSSELIN (Suite page 2) Observations d'un stratège neutre =EEzLES DEUX LIGNES = SUR LE RHIN = La frontière franco-allemande et les deux lignes de fortifications Maginot et Siegfried. JEUDI 14 SEPTEMBRE 1939 LE DUC ET LA DUCHESSE DE WINDSOR sont arrivés hier à Londres „LE PROBLÈME FRANÇAIS” par P. GUÉRIN *) Paris, septembre 1939 Dans son livre sur „Le Problè­me français”, M. P. Guérin entend rechercher quelle place est réser­vée dans le monde futur à la civi­lisation française. Comme le fait remarquer, en effet, M. André Siegfried dans sa lettre-préface à l’ouvrage, comme Français, on sent son existence même menacée, lorsqu’on entend aujourd’hui un Américain ou un Allemand expli­quer les conditions nécessaires de la production et de la vie sociale. „A première vue, devant la machi­ne qui tue l’artisan, devant la pro­duction de masse qui tue le travail individuel, devant les , créations collectives qui pourraient tuèr la liberté, que nous reste-t-il? C’est tout le problème de la survivance française et si, pour survivre, à! nous faut renier des qualités e»* sentielles, _ ne retombons'nous pas sur lla\rérîisaeméiit'*<?e ,Tu v.'-ùù!' ; „Propter vitám vitae perdere eau* sas?” Mais avant d’envisager le pro­blème actuel et de rechercher quel­les solutions on peut espérer lui donner, il fallait tout d’abord re­chercher ses antécédents et préci­ser à la suite de quelle évolution économique, morale et culturelle il semble nécessaire que la France entreprenne un vigoureux effort de réforme pour reprendre sa place dans le monde. Dès avant 1914, la France bien que restant toujours une grande nation n’est plus la puissance pré­pondérante de l’Europe. Limitée quant aux matières premières, elle n’a pu avoir une évolution écono­mique aussi dynamique que celle qui s’est produite vers la même époque aux Etats-Unis, et en Alle­magne. Sa faible natalité fait que non seulement elle n’est plus un des Etats européens les plus peu­plés, mais encore que sa popula­tion ne représente plus que 38%' de la race latine en 1910 alors qu’en 1800 elle en représentait la moitié. Cependant à contempler la Fran­ce à la veille de la Grande Guerre, on perçoit l’existence d’un corps hautement civilisé, peu adapté aux techniques, mais à l’abri des crises violentes, sans ambitions nouvel­­les, mais plein de dignité, moins peuplé et moins riche qu’il ne faud­rait, mais toujours sain et équili­bré. Il manque à la France les peu­ples de la Russie, le charbon et le pétrole des continents massifs, l’é­­tondue et les ressources de l’Empi­re britannique. Mais elle reste pla­cée au centre de l’Europe, c’est-à­­dire, encore à ce moment, au cen­tre du monde. Son peuple conser­vateur et heureux habite le plus beau, mais aussi le plus convoité des isthmes du continent. Notre pays gardait alors dans le monde un double prestige: d’avoir été aux XVII-e et XVIII-e siècles un des pays les plus civilisés et d’avoir contribué à former et à répandre aux XlX-e siècle un sys­­ème et un idéal de démocratie et 'e liberté. Mais l’après-guerre devait por­­er une nouvelle atteinte à ce près-. ROBERT DREUX (Suite page 2) *) Edition Gallimard

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