7 Artistes Roumains A La Biennale de Venise (Venise, 1977)

NAVIGATIONS VENITIENNES Si Jorge Luis Borges avait raison et l’histoire universelle n’était que l’histoire des diverses intonations que les époques successives ont su donner à quelques méta­phores, alors, certainement, le navire en ferait partie dès le début, inséparable de ce lot primordial d’images. Il allait devenir, avec Horace, (“O navis, referent / Fluctus : O quid agis ?”), l’allégorie de la République, - commentée, codifiée par Quintilien, sa trajectoire figure le destin même de la vie civique. Encore auparavant, réceptacle de croyances et superstitions archaïques, il hantait les profondeurs obscures du souvenir. Coutume surgie de loin, on dirait d’un rêve épais, à Athènes c’était du haut d’un navire comme d’une tribune suspendue - sans ancre ni escalier aucun, sans nullement s’appuyer à la terre - que l’on devait se disculper de souillures funestes, tel l’homicide involontaire. Mais tout se passe sous un signe éclatant et vital, dans “la plus moderne des cités antiques”. Pas de poids rétractile, à Venise jamais le navire ne risque de se figer en autel, même s’il acquiert une gloire sans pareil. Emblème d’une réussite expansive et durable, il Bucintoro, la galère d’apparat, réitère, pour de longs siècles, à la fête de l’Ascension, le cérémonial des fiançailles avec la mer. L’histoire se charge de les illustrer, Venise triomphe des périls et menaces, ses flottes reviennent rutilantes de gemmes et reliques, de marbres, bronzes et mosaïques dorées. Mais aussi sur le flanc de leurs carènes se déposent les sables de versants étranges, les graines issues du mythe, celles qui vont nourrir la splendeur de la grande peinture. En 1523, au moment où Titien composait le chef-d'œuvre aujourd’hui à la National Gallery, “Bacchus et Ariane”, - avec son cortège de Bacchantes et Satyres tumultueux, avec sa guirlande de corps en liesse, sur lesquels la lumière palpite comme une braise charnelle, - la géographie concernée dans cette fable, Crète, d’où s’était échappée l’héroïne, comme Naxos, file de l’abandon mythique et de la rencontre avec le dieu, étaient vénitiennes. Mais après la Pala d’Oro, rapportée dans le tumulte des Croisades, l’heure était à un autre butin, de tenaces découvertes intellectuelles, - la Toison d’Or qui aimante l’esprit de ces explorateurs fortunés se mue en ambition cognitive, sur des trajectoires courageuses. La première Société de Géographie au monde, fondée à Venise par Coronelli, met les exploits de la Sérénissime sous les auspices d’une telle ambition majeure ; car elle se pare d’un nom fantasque et grandiose, Accademia Cosmografica degli Argonáuti. Tout peut alors essaimer dans une profusion d’îles merveilleuses, l’univers, tel que l’enregistre cette cartographie de l’étonnement, se répand, multiple, à l’instar d’un isolario sou­verain. Les atlas de ce genre, qui forment presque une spécialité vénitienne, n’hésitent pas d’y inscrire les contours insularisés de l’Inde et du Nouveau Monde.

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