Revue des études hongroises et finno-ougriennes 1. (1923)

1923 / 1-2. szám - Jenő Kastner: Petőfi (1823-1849)

28 JENŐ KÄSTNER L’évolution intérieure de Petőfi est tout aussi variée que les événements de sa vie elle-même, et d’une importance encore plus grande pour l’intelligence de ses poèmes. Les déconvenues des dernières années d’études, la vie de soldat — où l’a poussé la misère, — la carrière théâtrale — vers laquelle l'a entraîné, à défaut de talent, une passion irrésis­tible, — la faim, les courses vagabondes à travers le pays, sou­liers troués et gousset vide, les luttes, l amour... la vie, en un mot : tout cela passe dans ses vers, encore tout frémissant, mais coloré toujours par l’état d’âme et 1’bumeur passagère du moment. Dès le collège, Petőfi commence à rimer. Il emprunte les thèmes romantiques et sentimentaux et le langage affecté des poètes alors à la mode. Mais bientôt, rejetant tous ces clichés, il se met à écrire librement, simplement, comme l’on parle. Puis il prend son essor, il s’élève à des hauteurs inconnues ; son instrument a déjà une résonance merveilleuse, — mais il est encore trop jeune, et l’on ne reconnaît pas dans ses vers une inspiration personnelle, des sentiments vécus. Il atttend l’amour, il l’appelle : « Sera-t-elle blonde, brune... ses yeux seront-ils bleus ou noirs ? » Il fait des rêves de gloire, mais aucun sentiment profond ne remplit encore son âme. Dans ses poèmes il verse la misère, les troubles et les espérances de sa jeunesse. Il parle de lui-même, tou­jours de lui-même. Et l'acteur qui sommeille en son âme mêle à beaucoup de sincérité beaucoup de rôles divers : tan­tôt c’est un gai compagnon qui ne songe qu’à boire, tantôt c'est un vagabond joyeusement philosophe ; mais gardons­­nous de prendre au sérieux tous les rôles qu'il joue. — Son regard est perçant, il excelle à saisir certains types : le fêtard, par exemple, ou le mari obéissant, lui fournissent le sujet de tableaux de genre pleins d’une ironie souriante et d’un art achevé. Il entre « dans la peau» du berger hongrois, dans celle du gardeur de chevaux; quoi d’étonnant qu’il sache si bien exprimer leurs joies et leurs chagrins, dans ses chants populaires, d’une forme si fruste et si simple et qui se prête admirablement aussi à l’expression de sa soif d’amour ? D’ailleurs Petőfi n’imite pas la chanson populaire* il l’enrichit plutôt par son ai t individuel.

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